Quatre ans après le flamboyant Roman de Mildred Pierce (1945) qui lui valut un oscar, Joan Crawford retrouve le grand Michael Curtiz dans une adaptation d'un roman à succès de Robert Wilder, un auteur aujourd'hui largement oublié qui contribua lui-même à l'écriture du scénario. S'il ne compte pas parmi les chefs-d'oeuvre de ce réalisateur multi-tâches à l'aise aussi bien dans le film noir (Casablanca, 1943), le western (Dodge City, 1939), le film historique (Les aventures de Robin des Bois, 1938) ou le biopic musical (La femme aux chimères, 1950), Flamingo Road (stupidement traduit par Boulevard des passions) n'a rien d'infamant, bien au contraire. On y retrouve le prodigieux sens de la mise en scène de Curtiz, ses travellings élégants, ses cadrages surprenants et une utilisation de la profondeur de champ qui n'a rien à envier à Orson Welles. Certes, la quarantaine passée, Crawford a bien perdu de sa superbe, marquée par les ravages du temps et de l'alcool, et il faut un peu se forcer pour admettre que les deux protagonistes masculins en tombent éperdument amoureux au premier regard. Et le scénario qui oscille entre mélodrame, film noir et chronique sociale peine à se développer en à peine une heure et demie, la faute à de trop nombreux personnages insuffisamment approfondis, à commencer à celui de l'ambitieuse danseuse de fête foraine incarnée par la star dont on ne sait pas bien si les revirements amoureux tiennent de la force de caractère ou de l'opportunisme le plus vénal. Mais ce qui frappe, au delà d'une intrigue de soap opera qui inspirera un feuilleton des années 80, c'est la virulence de la critique d'un système économique et social décrit comme une mare boueuse où la frénésie du pouvoir et de l'ascension sociale justifie toutes les turpitudes. Et dans le rôle du shérif Titus Semple, manipulateur en chef corrompu et adipeux de ce fétide panier de crabes, Sydney Greenstreet est absolument génial: certainement l'un des personnages les plus haïssables du cinéma hollywoodien de l'époque. Rien que pour sa composition, Flamingo Road vaut d'être vu.

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le 3 oct. 2023

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Eric Steiner

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