Mélissa s'installe avec son mari Djibril et ses deux enfants (issus d'une précédente union) près de Borgo sur l'île Corse.

Pour cette surveillante de prison chevronnée la prime insulaire est une motivation matérielle et l'espoir d'un nouveau départ. Pour l'instant Djibril est sans emploi et l'installation de la famille dans le QP (quartier prioritaire (nécessitant une intervention des Pouvoirs Publics)) pose immédiatement des problèmes au voisinage pas ravi, et qui le fait rapidement savoir, de se voir envahir par un couple mixte, des enfants sans gêne et un chien aboyeur... Au Centre pénitentiaire de Borgo où Mélissa est transférée, elle est présentée aux détenus par ses collègues et visite particulièrement cette unité 2 dans laquelle les détenus vivent en milieu ouvert. Les cellules sont ouvertes permettant à tous de circuler à sa guise, de préparer et partager leurs repas et différentes activités. Que ce soit dans son quartier où elle remet à sa place un malabar mal embouché mais aussi dans son milieu professionnel, Mélissa impose immédiatement son autorité et son assurance. Pas question de la menacer, de la tutoyer, de lui parler en corse ou de l'appeler par son prénom. Sur place, elle retrouve Saveriu un jeune détenu qu'elle avait rencontré à Fleury-Mérogis et avec qui elle avait très vaguement sympathisé. Il la place à son insu sous sa protection jusqu'à lui faciliter l'existence dans son quartier car l'influence du jeune homme s'exerce encore depuis sa cellule. A sa sortie, il va considérer que Mélissa lui est redevable et c'est là que tout se... corse (allez zou, j'ose) et que les rouages de l'engrenage infernal se mettent en marche.

Le réalisateur s'inspire d'un fait divers réel pour finir par s'en écarter et nous livrer un polar rondement ficelé car il est aussi une enquête menée en parallèle du quotidien de la prison. Et s'il s'agit d'un film carcéral et qu'un rapprochement est souvent fait avec Un prophète de Jacques Audiard, la prison est observée cette fois du point de vue d'une matonne. Mais le film s'ouvre sur un assassinat en pleine rue devant l'aéroport d'Ajaccio et la façon dont le lien sera fait entre le quotidien de Mélissa et le double meurtre initial est particulièrement bien mené. Il faudra cependant attendre le dernier quart d'heure du film qui se voit en une seule respiration pour comprendre.

Contrairement à l'exécrable Sons dont la matonne faisait à peu près tout et n'importe quoi sous les vivats de sa hiérarchie, Melissa est prise dans une spirale dont elle sait qu'elle ne pourra éventuellement s'extraire qu'en faisant ce qu'on lui demande. Le danger est permanent et le réalisateur captive sans faillir pendant que Mélissa la matonne au baiser assassin maîtrise l'art de mentir à la perfection. Son aplomb pour cacher à son mari ces agissements et autres déplacements est impressionnant. Et le film est parcouru de scènes à fort pouvoir tour à tour intrigant ou angoissant (une soirée dans une paillote, un moment dans une chapelle, un tour de Carrousel, un interrogatoire (mon préféré...) etc.). Quant aux truands de la mafia corse, ils sont la plupart du temps effrayants même quand ils tentent de se montrer rassurants. Ces gens-là "ne vous oublient pas et vous ne les oubliez pas".

Dans ce film social et polar, Stéphane Demoustier offre sans doute à ce jour son meilleur rôle à Hafsia Herzi dont le visage fermé, la solidité de surface, la tchatche, le culot faussement désinvolte alors qu'elle doit crever de trouille et que le piège se referme sur elle sont absolument remarquables. Le visage, le regard de cette fille sont une énigme magnifique qui colle à ce personnage hermétique et piégé. Seul l'hommage rendu par les détenus auxquels elle tente d'adoucir l'incarcération lui fera esquisser un sourire. La chanson de Julien Clerc Mélissa interprétée en corse par les prisonniers est un moment que j'ai trouvé réjouissant. Comme elle, avec elle, on sourit, on respire un peu.

Autour d'elle, notons la présence très remarquée du nouveau venu Louis Memmi dont le physique juvénile permet de créer un personnage ambigu et surprenant. Mais aussi Michel Fau en commissaire désabusé secondé par Pablo Pauly brigadier expert en exploitation de videos, Moussa Mansali déjà très convaincant dans Le marchand de sable, Florence Loire-Caille en directrice de prison à poigne. Les personnages secondaires bien écrits parviennent tous à exister.

Foncez, l'été et les journées en terrasse ou dans vos hamacs ne sont pas encore pour demain...

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le 19 avr. 2024

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