Ça commence comme une pub d'agence de voyages : aucun grand talent particulier derrière la caméra, mais des paysages tellement grandioses qu'ils magnifient à coup sûr les moindres images filmées. Les protagonistes, tous deux atteints d'une euphorie écoeurante, arpentent gaiement ces territoires paradisiaques sous le rythme d'une mélodie digne des diaporamas de la Nintendo DS. À la manière d'une publicité dont l'objectif serait de convaincre le spectateur de dépenser son pognon dans le financement d'un voyage, et donc d'insister lourdement sur les qualités attractives de la destination proposée, les premières minutes de Bokeh ne font qu'exhiber la beauté des décors islandais, comme si cela suffisait à l'installation de fondations solides. Bordel à cul de pompe à merde, le minimum à faire quand on prétend raconter une histoire quasi philosophique sur le processus d'adaptation d'un couple dans une situation d'isolement total, c'est de lui accorder une importance au moins supérieure à celle de la dernière des mouches à merde. Parce qu'au final, toutes ces belles images ont un prix : celui de l'introduction foirée de deux personnages dont on aura malheureusement rien à battre.


À peine cinq minutes et la suite de ce film semble aussi certaine qu'une randonnée dans un champ de mines. Difficile donc de rester optimiste. Mais bon, oublions ce commencement moisi et attardons-nous là où l'histoire débute réellement : l'instant de la volatilisation absolue de toute trace de vie humaine - hormis bien sûr celle de ce charmant couple- suite à l'apparition d'une aurore boréale sismique (?), dont l'apparence kitsch dégueulasse nous rappelle les plus grandes heures de l'industrie du téléfilm catastrophe. Mais le plus moche dans tout ça, c'est assurément la réaction de nos deux personnages. Leurs parents et amis sont probablement morts, désintégrés ou enlevés par des extraterrestres qui vont mener sur eux des expériences sexuellement insoutenables, et ces deux connards - car "connard" est le mot adapté - n'ont pas d'autres préoccupations que la teneur en pain d'épices dans leurs foutus cafés. Dès le départ, ils ne font preuve d'aucune inquiétude, ne pensant qu'à vivre comme des putains de guignols matérialistes. Et nous, spectateurs, sommes obligés de nous farcir leur quotidien puérilement inintéressant et leurs parties de stripopoly minables.


Mais en plus d'être cons, Jenai - la gonzesse - et Riley - le gars - sont atrocement mal écrits. On remarque quand même une réelle volonté de faire évoluer les personnages dans leurs comportements, initiative ô combien respectable qui prouve l'implication sincère des scénaristes dans un projet qui leur tient à cœur. Mais bordel, cette subtilité de bombe nucléaire... Une évolution, ça s'opère sur la durée, progressivement. On ne passe pas d'imbécile ne pensant qu'à profiter des joies de la consommation gratuite à hipster écolo (pléonasme ?) aux ambitions d'avenir utopiques en un claquement de doigts, n'est-ce pas mon cher Riley ? Pareil pour toi, ma petite Jenai, ce n'est pas parce qu'on est un poil hystérique sur les rations de bouffe qu'on se mettra à discuter avec des statues deux scènes plus tard. Faute à une gestion du temps catastrophique - l'action étant censée s'étaler sur une durée plutôt conséquente alors qu'on a l'impression que ça dure un week-end, ces personnages passent pour des girouettes détestables, difficile donc de s'en approprier pleinement les enjeux - et faut quand même dire que les tronches mono expressives des acteurs ne nous y aident pas énormément.


Cette mascarade Tahiti Douche durera près d'une bonne heure, jusqu'au moment où l'arrivée improbable d'un vieillard - Nils pour les intimes - servira de tentative de défibrillation à l'encontre de l'intérêt agonisant du spectateur. Première remarque, le vioque semble gravement assoiffé et demande au couple de lui refiler de quoi boire. Si seulement il ne se trouvait pas dans un pays où les rivières d'eau douce coulent à foison. Bref, le croulant remplira son rôle de gentil MacGuffin, partageant au jeune couple des propos philosophiques presque suicidaires avant de clamser dans son pieux. Suite à cette rencontre hasardeuse, Jenai décidera de partir à la recherche d'autres survivants, recevra un message salvateur puis se suicidera dans une piscine sale - j'ai honnêtement pas compris pourquoi. Son petit copain, triste mais toujours avec cette même gueule de junkie défoncé à l'opium, prendra le volant en chialant pendant le déroulement du générique final.


Bokeh est un film indépendant, qu'on pourrait presque qualifier d'amateur sur certains de ses aspects. Dans ces conditions, je pourrai facilement lui pardonner ses maladresses ainsi que le jeu limité de ses comédiens. Mais il faut voir la vérité en face, ce film est mauvais, et toute ma tendresse envers ce genre de petites productions ne peut malheureusement rien y changer. Toute l'histoire repose sur ses personnages et les relations qu'ils entretiennent. Autant dire qu'il repose sur la merde. Les personnages sont terriblement mal foutus, formant une solide barrière entre nous et l'implication qu'on devrait fournir vis-à-vis de leur situation. Dommage, car la lenteur du rythme et la beauté des paysages islandais auraient pu former un mélange délicieusement poétique et reposant.

MarcellusW
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le 26 août 2017

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