Conte poétique érotique onirique horrifique autour du folklore japonais



  • Il se trouve qu'un chat m'a jeté un sort.

  • Un chat ?

  • Un chat-fantôme ? N'importe quoi !

  • C'est la vérité. C'est un chat noir qui aime le sang. Il a lapé le sang qui coulait d'un cadavre. Ensuite, il m'a sauté aux yeux.
    ...

  • Raconte ton histoire. Présente-toi.
    ...

  • Bien... Je vais vous dire qui je suis. Descendante du membre fondateur, je vous implore d'écouter attentivement mon histoire. Je suis le numéro deux du clan Tachibana, fille de Sennosuke Tachibana. Mon nom : Tachibana. Mon prénom : Akemi. Je suis la plus jeune du clan. Je vous délivre ce message empreint de bienveillance. Puissent nos efforts s'associer dans le futur.




怪談昇り流 : Kaidan nobori-ryū : Histoires de fantômes : La malédiction de la femme aveugle



The Blind Woman's Curse réalisé par Teruo Ishii est une étrangeté japonaise conjuguant le kwaïdan, le bakeneko, le conte fantastique horrifique, la poésie onirique, le chanbara, l'érotisme et le film de yakuza. Un délire hallucinatoire écrit par le cinéaste Teruo Ishii en collaboration avec le scénariste Chusei Sone. Ils proposent une association osée entre le réalisme, le rêve, le cauchemar et le fantasme, pour un résultat étonnamment stable et digeste. Une conduite qui dès les premières secondes plonge le spectateur dans une ambiance très particulière par le biais d'une confrontation violente au ralenti sous un déluge de pluie. Une scène à la fois hypnotique et obsédante qui capte l'image avec un filet d'eau traversant le cadre sur une colorisation rouge illustrée par des gerbes de sang, où se déploie de lentes percussions envoûtantes sur une chanson obnubilante. Une caractéristique qui d'emblée pose la particularité de ce long-métrage que l'on pourrait qualifier d'expérimental. Une richesse visuelle flagrante que l'on retrouve tout du long avec une superbe photographie de Shigeru Kitazumi, sur une lumière de Ko Fujibayashi, qui prend forme dans des décors atypiques signés Akiyoshi Satani, appuyés par l'énigmatique composition musicale de Hajime Kaburagi, associé à la superbe chanson "Koi ni inochi o" de Jun Tachibana interprétée par Meiko Kaji. Une atmosphère atypique qui revendique son apparence théâtrale, en particulier au travers de plans figurant la folie, l'excentricité, la brutalité, l'inquiétude et l'étrange. Loin de décrédibiliser l’ensemble, cette construction esthétique est savamment soutenue par la réalisation inventive du cinéaste.


Si le scénario s'avère d'une simplicité étonnante avec sa conduite vengeresse construite autour d'une confrontation de territoire entre clans yakusa, on ne s'ennuie pas une seconde grâce à un rythme qui ne faiblit jamais sur un déluge de thématique aussi hystérique qu'inspiré. On y suit la belle Akemi Tachibana (Meiko Kaji), héritière du clan Tachibana, qui malgré une tentative de faire suivre une voie légale à son clan n'a d'autres choix que de prendre les armes face à une menace invisible qui ne cesse de frapper dans l'ombre chacun des membres. S'ensuit un enjeu de survie austère auquel s'ajoute une malédiction morbide rendant le tout aussi confus que compliqué. Un récit mouvementé et théâtral où se superposent de nombreux éléments raffinés, contraster par une brutalité soigneusement diluée sur une fibre cadavérique ectoplasmique frissonnante. Un train fantôme délirant où s'articule un théâtre des horreurs morbides entre un chat démoniaque frénétique tiré du folklore japonais ; un bossu nécromancien sordide et lugubre ; une vitrine de cadavres désarticulés grotesques ; jusqu'à des meurtres étranges avec des victimes qui se font scalper leur tatouage. À quoi s'ajoute un humour douteux (heureusement peu employé), ainsi qu'une romance inutile à l'intrigue principale bien qu'appréciable. L'action reste rare afin de mieux jouer du mystère du récit jusqu'à faire grimper la tension pour finalement laisser éclater une confrontation finale sanglante. Un règlement de compte délectable avec une Akemi Tachibana déterminante un sabre en main. Ça tranche dans le lard, le sang jailli, les personnages hurlent, supplient, jurent, grimaces : c'est le chaos. Un chambard qui va laisser place à un superbe duel final au sabre entre deux femmes fatales. Un affrontement soigné et gracieux où on ne s'épargne pas. Un vrai régal pour les yeux et la symbolique du résultat !


Dans Blind Woman's Curse se côtoient de nombreux personnages déviants qui n'ont de cesse de grimacer entre le danseur bossu bien flippant incarné par Tatsumi Hijikata, qui n'est autre que l'inventeur du "butō des ténèbres". Une danse née au Japon dans les années 1960 qui s'inscrit via une performance glauque en rupture avec les arts vivants traditionnels pour obtenir une danse du corps obscur désarticulée. Une performance qui colle le frisson. Le yakusa ridicule en slip qui pue du sexe par Ryohei Uchida est amusant, bien que je n'ai pas saisi l'utilité de son rôle. Le traître par excellence qui transpire de perversité par Shiro Otsuji est excellent. Le chef yakusa malsain et misogyne par Toru Abe est convaincant. Le redresseur de torts charismatique et malgré lui bourreau des coeurs par Makoto Sato est crédible. L'innocente crémière à défendre par Yoko Takagi est attachante. Dans cette pléiade de personnages auquel s'en greffent beaucoup d'autres, deux protagonistes sortent totalement du lot. Un duo de femmes fatales aussi belles que fortes. D'abord, la charmante et iconique comédienne et chanteuse "Meiko Kaji" au regard intense dans le rôle de Akemi Tachibana. Avec ce titre, elle offre là sa première performance cinématographique en tant que yakusa charismatique. Droite et imperturbable, la comédienne nous illumine de son savoir-faire. Un katana à la main elle fait des merveilles, avec son gigantesque tatouage dans le dos prenant la forme d'une tête de dragon. Sa garde rapprochée possède le reste des parties de son dragon tatoué dans le dos, si bien que lorsqu'ils forment une unité de combat apparaît un long dragon. Un travail ingénieux à travers un esthétisme décidément innovant. Enfin, la comédienne Hoki Tokuda (dernière épouse de l'écrivain Henry Miller) dans le rôle d'Aiko, fait des merveilles. Aiko est une femme aveugle énigmatique et ténébreuse, habile au sabre qui se dresse comme l'ennemi juré de Akemi Tachibana. Un adversaire de taille qui joue sur tous les tableaux pour obtenir ce qu'elle souhaite à savoir la vengeance ! L'affrontement entre les deux femmes tiens toutes ses promesses.



CONCLUSION :



The Blind Woman's Curse du cinéaste Teruo Ishii, est une œuvre cinématographique à part se dressant comme une expérience fantasmagorique conjuguant le traditionalisme japonais avec tout un pant folklorique appartenant au kwaïdan, le bakeneko, le conte fantastique horrifique, la poésie onirique, le chanbara, l'érotisme et le film de yakuza. La sublimation de la femme fatale à travers un spectacle original où l'on trouve de tout à manger. Une pièce peu commune qui encore aujourd'hui se dresse comme une étrangeté à voir et à revoir.


Parfois sublime, parfois grotesque, parfois poétique, parfois violent, parfois transcendé, parfois malaisant, parfois dégénéré, The Blind Woman's Curse se dresse comme une bizarrerie avant tout adressé à un public en recherche d'originalité à une époque où le cinéma s'est bien assagi.



" Je poursuis un rêve, rêveuse que je suis
" Dussé-je mourir, je rêverai à vie
" Rêveuse à l'infini, rêveuse pour la vie
" D'un seul et même souffle
" Nous triompherons de ce monde
" Nous, les femmes et moi-même
" À l'attaque !
" D'une seule et même voix dépourvue de pitié
" À la vu des larmes du dragon tatoué sur notre dos
" La vie d'une fleur suspendue sur le dos
" Quelle sotte
" Le vent me fait frissonner
" À l'attaque !
" D'une seule et même voix
" Quelle effrontée
" Le dragon justicier se réveille.


B_Jérémy
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le 22 déc. 2022

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