Avec un rythme lent et épuré, Blackbird suit un lycéen, Sean, qui a des traits de caractères affirmés, il est gothique, et il est très calme. Il y a une rencontre, ou une envie : la fille populaire de la classe, elle aussi est attirée par Sean. Et en parallèle, il y a une histoire judiciaire qui paraît irréelle et qui l'oblige à se confronter à ses peurs. Au tout début, à la chasse avec son père, on le voit incapable de tuer une biche. Lorsqu'il filme son père vidant les entrailles de l'animal, il est remué et refuse la violence de ce qui est devant lui, comme une rébellion intérieure qui se retrouve à vif mais à laquelle il refuse de se livrer comme le font le plus grand nombre ; il a une réserve, une manière d'être en prise avec une violence tout en la préservant de sa décharge dans le monde. Cette appréhension le place à part et dans la mise en scène, son style de vêtements gothique marque bien dans la vie de tous les jours sa distinction d'avec les autres. Un rapport entre ce qui est vu et les attitudes que cela provoque : ne pas se cacher, rester visible, mais sans pour autant avoir le comportement d'un monsieur tout le monde. Ce comportement n'est pas intellectualisé chez Sean, il porte simplement quelque chose sur lui : les vêtements, un regard et une posture par rapport à la violence, la manière de bouger et d'agir qui en découle. Il n'est simplement pas intéressé par la normalité, et porte en lui une certaine violence / volonté non définie d'être soi, dont il ne sait pas l'enjeu. Reste une obligation de vivre à sa manière, dans un espace riche en possibilités d'affirmation. Un espace ouvert (et qui commence à s'étendre dans la relation naissante entre les deux) tout de suite barré - de manière "irréelle"- par des lettres qu'on retrouve chez lui, et que sa psy/conseillère d'orientation lui avait conseillé d'écrire pour évacuer sa haine, ou plutôt son incompréhension face à tant de haine. Incompréhension qui appelle des images de vengeance, et ces images se retrouvent couchées sur le papier. Simplement chez lui les images sont plus directes, plus crues, et la justice les interprète comme une préparation d'assassinat. Le drame de Columbine est encore dans les esprits. Et donc, alors que la vie réelle lui offrait des moyens de rester en contact avec cette violence /distinction en soi, la prison et ses occupants va tout-de-suite l'obliger à faire un choix entre tenir sa position simple et non violente (il ne veut agresser personne), et parer à la violence immédiate de ses nouveaux colocataires. La violence physique ou l'idée de subir cette violence génère une peur qui prend le dessus : il évite la violence. S'il avait dû l'affronter, il lui aurait fallu se durcir très rapidement, alors qu'il est encore très maléable/en croissance. Il doit encore absorber pour pour pouvoir se positionner dans à une situation du type "rendre les coups". Pour l'instant, toute violence physique brusquerait beaucoup trop les choses. Il y a une distance qui doit encore être préservée pour pouvoir grandir vers autre chose, pour "qu'il sache ce qu'il en est", c'est-à-dire qu'il sache comment agir. Le contact et la violence exécutée seraient prématurés, il raterait/blesserait l'objet inconscient de sa quête, qui est pour l'instant dans ce recul, dans cette distance nécessaire liée au "non maîtrisable", au "je ne sais pas encore que faire" qui doit trouver sa voie. Encore un peu de patience. Une patience qui prend le parti d'abdiquer provisoirement, car sur le chemin actuel une violence physique est encore là, une violence physique qui ne résoudrait rien pour lui. Sean esquive donc la confrontation et abandonne ses idéaux, avec de nouveaux vêtements et un travail normaux, pour se faire oublier. Mais aussitôt qu'il cherche à s'intégrer à ce rythme de monsieur tout le monde, son envie contraire le pousse naturellement à nouveau vers la fille qu'il a rencontré. Elle le pousse à aller vers leur rencontre, tout en outre-passant les interdictions qui allaient avec sa culpabilité déclarée lors du procès, suite aux déclarations qu'il avait faites pour qu'on le laisse tranquille. En se remettant en danger, il retrouve ses anciennes affaires dans sa chambre, son ancienne vie, environnement qui le remet immédiatement en contact avec lui-même -avec ce qui veut s'exprimer et se démarquer en lui. Et sur le même rythme simple et pur, ses actions vont maintenant dans le sens de sa nature, celle qui a besoin de se découvrir, et qui se retrouve avoir les moyens d'agir pour être en phase avec elle-même. Il est prêt à retourner en prison, et rétablir ainsi la vérité, celle qu'il peut maintenant exprimer et faire valoir. Une fois à l'intérieur, il retrouve ceux qui l'avaient provoqué la première fois, mais à présent il sait quoi leur répondre : "Tu peux m'appeler Columbine autant que tu veux, mais je sais qui je suis", dit-il à celui qui le menace à présent de mort. Celui-là même qui a pris un chemin inverse à Sean : il a tué celui qui allait abuser de lui, et a ensuite durci autour de lui une image de caïd. Tenter de masquer la blessure en affichant une image sûre de lui. C'est l'image qui doit alors tout encaisser tous les coups, tout est dans l'attitude. Les événements l'ont contraints à se protéger par cette attitude, pour "être sûr" de ne pas avoir à revivre son trauma. Il doit ainsi faire corps avec cette image : "Si je suis violent, c'est normal que j'aie tué". Sean voit quelque chose en lui, il voit qu'il est "comme lui" : en le poussant à accepter/reconscientiser l'événement (au lieu de le repousser en fabriquant une image bouclier), il retrouvera un chemin vers lui-même. Se faisant, Sean agira et complètera aussi son propre chemin toujours dans cette impulsion assurée qui l'a fait retourner en prison. Il sont ainsi tous les deux parqués en cellule d'isolement, et Sean ne la quittera pas tant que l'autre n'en soit aussi sorti : "S'il n'est pas prêt, je ne suis pas prêt moi non plus". Cette déclaration n'est pas une figure de style, il y a effectivement un chemin commun, une construction à deux que Sean a intuité dans ses actions, en impliquant cet autre, en le "prenant sous son aile". Partager le chemin vers soi-même, le parcourir ensemble. Cette construction de soi se réalise à un même rythme lent et pur, qui permet un espace de changements/croissances silencieuses mais déterminées. Certainement un des espaces les plus vrais/réalistes pour matérialiser "dans quoi" se font les transformations brusques et simples de l'adolescence.

zerthol
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le 23 avr. 2018

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