Voir le film

Ça fait quelques temps que j'entends parler de ce fameux Bandersnatch qu'on nous vend comme un film cerveau labyrinthique qui se paye en plus de ça le luxe d'avoir un concept jamais vu au cinéma : nous laisser la possibilité de choisir les actions du personnage principal. Bon j'avoue que dit comme ça, ça m'emballait pas des masses. Si je vais voir un film c'est justement pour qu'on me raconte une histoire, je veux voir la vision du réalisateur et ce qu'il a à me raconter. J'ai pas forcément envie de bosser pour lui, quoi. Ajouté à ça le fait que je ne porte pas spécialement Black Mirror dans mon cœur, du moins les quelques épisodes que j'ai vus. J'ai toujours trouvé ça hyper convenu et faussement subversif, reprenant des concepts déjà vu mille fois ailleurs et toujours en mieux. En plus de ça, les œuvres qui dénoncent quelque chose tout en en étant le plus grand parangon, j'ai jamais compris le concept.


Ceci étant dit, je me suis quand même lancé en essayant de rester vierge de tout a priori et je me suis dit que j'allais sans doute passer un bon moment si l'histoire était sympa et que le concept qui l’enrobait avait vraiment été poussé à fond.


And it was at this moment that he knew he was fucked.


Déjà tu comprends dès les premières minutes que le truc a été pensé pour des débiles profonds quand les deux premiers choix qu'on te donne à faire c'est de choisir entre deux marques de céréales puis ce que le personnage va écouter comme musique dans le bus. On sait pertinemment que ça ne va pas influer sur le reste, c'est juste du décorum qui fait office de didacticiel pour les quatre abrutis qui n'ont pas les capacités cognitives pour comprendre instinctivement comment choisir entre deux propositions. Bon, à la limite je veux bien l'admettre hein. Faut bien entrer doucement en matière.
Après tu te retrouves chez la psy qui te demande deux fois si tu veux pas parler de ta mère pour exorciser ton mal-être. Du coup tu comprends instantanément que c'est un point central du scénario et que si tu le fais pas bah tu mets le film en port-à-faux. Du coup j'ai dit non deux fois, bien évidemment. Et c'est précisément là que le film est parti en couilles total. A partir du moment où tes choix influencent réellement le déroulé de l'histoire, le film s’effondre sur lui-même.
Au moins six fois durant le visionnage je me suis retrouvé devant deux écrans me proposant soit de revenir en arrière à la scène d'avant, soit de revenir à la scène du psy. En gros j'ai perdu comme si je jouais à Mario Kart alors que j'étais en train de regarder un putain de film. On comprend le soucis fondamental du film à ce moment là : tu as juste le choix de faire le bon choix, sinon tu as perdu. Et c'est là tout le nœud du problème.
Du coup tu te retrouves face à plusieurs cas de figure différents :
-Le cas sus-cité où on te fait comprendre explicitement que tu as fait le mauvais choix et que tu dois revenir en arrière pour faire l'autre. Et le film fait absolument tout pour que tu ailles raconter ton histoire de merde à la psy. Il arrive même des moments où il te propose le générique de fin alors qu'il s'est toujours rien passé, ou revenir au début pour raconter comment maman a eu un accident de train.
-Un moment donné, un personnage te demande si tu veux du LSD et tu as le choix entre "oui" et "non". Jusque là tout va bien. Sauf que moi j'ai mis "non", et du coup le personnage me met le LSD à mon insu dans mon verre. Ok, merci enfoiré. Pourquoi tu me laisses le choix dans ce cas là ?
-Un autre truc sympa aussi, on te fait des propositions genre "lui en dire plus" ou "lui donner plus de détails", ou encore "oui" ou "ouais, carrément", ce qui, vous en conviendrait, est du gros foutage de gueule. C'est du choix, ça ? Explique moi ton concept, par pitié, c'est comme si on te disait "tu préfères que je te casse la jambe droite ou la jambe gauche ?". On s'en bat la race, on sait que dans les deux cas ça va être de la merde.
-Je crois que le pire a été atteint quand le film m'a juste laissé le choix entre "non". Genre littéralement. Le film m'a donné qu'une réponse possible. Genre il se cache même plus quoi.


Mais tous ces points convergent vers la même chose en réalité : en gros le film choisit pour toi tout en faisant croire que c'est toi qui contrôle tout. C'est l'illusion du choix. C'est de la démocratie moderne.
Sincèrement j'ai rarement vu un concept exploité de manière aussi malhonnête. Si vous voulez vraiment aller dans ce sens là, pourquoi ne pas créer une arborescence de possibilités complète ? Pourquoi tous les choix n'ont pas de fins concluantes ? Bah oui parce que si tu me donnes le choix t'as intérêt à proposer des trucs intéressants pour tous les choix que je suis en mesure de faire, sinon je ne vois même pas de quelconque intérêt à ta mascarade.


Surtout qu'il faut voir ce que ça raconte hein. De quoi parle le film ? De lui. De son concept hyper original. Le tout en te faisant des clins d’œil complices toutes les trois secondes pour te rappeler que c'est toi qui décide, que c'est toi qui a le choix, tu es maître du destin du personnage. Mais un concept ce n'est pas une fin en soi, il ne peut pas faire office à la fois de forme et de fond. Il faut l'utiliser pour raconter quelque chose de plus profond, de plus poussé. Je veux bien que l'histoire fasse écho au concept mais elle doit aussi pouvoir se suffire à elle-même. Parce qu'en plus si tu touches à rien et que tu décides de ne pas choisir, le film continue à prendre la décision à ta place pour aller vers ce qui l'arrange le mieux. Donc le film existe en dehors de son concept ? Oui, mais du coup c'est un truc qu'on a vu des centaines et des centaines de fois dans sa forme la plus médiocre tout en se croyant hyper supérieur avec son aspect méta du personnage Netflix qui devient conscient qu'il est regardé par d'autres connards sur Netflix. Sérieux, j'avais honte à ce moment-là. J'avais honte en imaginant les gens en train de se dire "c'est vraiment des génies" alors que ce genre de truc ça existe depuis plus de cent ans, mais la curiosité de la masse ne va pas au delà de ses propositions Netflix, ce dernier se plaçant d'office en référentiel culturel populaire.


Bref, c'est nul à chier. Mais pas juste nul à chier. Nul à chier, prétentieux et pernicieux. Pernicieux parce que ça vous laisse miroiter que vous êtes le ventriloque alors que vous êtes la marionnette, et si vous voulez essayer de faire vos propres choix, vous allez automatiquement être remis dans le droit chemin.
Par pitié, arrêtez d'avaler toutes les merdes qu'on vous vend comme étant le summum de l'originalité et de l'intelligence alors qu'on nivelle votre intellect par le bas en vous servant de l'illusion et du prémâché aux arômes de liberté de pensée et d'indépendance. Regardez des vrais trucs stimulants, des vrais œuvres d'art, au lieu de ces choses informes qui ressemblent à tout et rien à la fois.

Daftwolf
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le 14 janv. 2019

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Jon Talbain

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