Autant prévenir, si mon titre peut amuser Black coal n’est vraiment pas une comédie (malgré quelques situations qui prêtent à sourire), mais un film noir (comme le charbon). C’est pourtant une sorte de « Feu d’artifice en plein jour » pour reprendre l’enseigne d’une maison de jeux où se situent quelques scènes clés vers la fin. Une enseigne qui ne doit rien au hasard à mon avis, car le réalisateur passe deux heures à en mettre plein la vue au spectateur. Diao Yinan montre une Chine fascinée par la modernité, contrariée par une réalité où beaucoup sont à la peine. Ce qui ne l’empêche pas de frapper l’esprit du spectateur par des couleurs vives qui ressortent très bien sur un fond nocturne (ou blanc comme neige), et éclaboussent l’écran par des tendances très flashy. Impression de clinquant, comme si le réalisateur cherchait à montrer qu’il ne faut pas se laisser impressionner par les apparences. Le symbole en est cette maison de jeux, attrape-nigaud destiné à remplir les poches de son propriétaire.


Les personnages principaux sont l’inspecteur Zhang Zili (Liao Fan) et une jeune femme, Wu Zhizhen (Gwei Lun-Mei) employée par « pitié » (depuis son veuvage), par le propriétaire de la teinturerie RongRong.


Pour l’humour, Zhang est observé un soir de neige, complètement avachi (mort ?) sur un trottoir, à la sortie d’un tunnel routier, par un homme en mobylette qui s’arrête et s’inquiète de son état. Une fois que l’homme a compris la situation, il en profite sans état d’âme, car Zhang n’est que bourré (bourre et ratatam) !


Dans cette Chine industrieuse qui lorgne vers le tape-à-l’œil à l’occidentale (du moins son aspect factice, celui de la réussite facile), un cadavre est identifié de manière étrange. En effet, des morceaux d’un corps humain (emballage de fortune) sont retrouvés dans plusieurs usines traitant du charbon. Or ces morceaux sont retrouvés dans des endroits incroyablement distants les uns des autres. Nous sommes en 1999 et l’inspecteur Zhang commence une enquête longue et difficile. Un interrogatoire se termine de façon particulièrement sanglante. Occasion pour le réalisateur de faire étalage d’un beau talent de mise en scène quand un homme est appréhendé de manière brutale. Début explicite hors cadre suivi d’une bagarre dans le champ avec un éclairage rouge vif (dans un salon de coiffure) accentuant la souffrance de deux hommes luttant à terre.


C’est après de nouvelles découvertes macabres, en 2001 puis 2004, que l’enquête va s’orienter vers Wu Zhizhen, jeune femme mignonne mais discrète qui demande constamment à Zhang d’arrêter de la suivre. Le spectateur pense d’abord qu’elle tente comme elle peut de fuir une enquête qui pourrait la menacer. Mais c’est bien plus compliqué que cela et les retournements de situation vont s’enchainer.


Si Le beau Danube bleu (Johan Strauss) a inspiré Stanley Kubrick pour une chorégraphie entrée dans l’histoire du cinéma, Diao Yinan l’utilise à son tour sans le moindre complexe. Le son est vraiment moche à ce moment du film (patinoire en plein air, sono de qualité plus que médiocre), mais c’est l’esthétique qui donne le ton. Le réalisateur n’a vraiment peur de rien (tout se passant en hiver, disons qu’il n’a pas froid aux yeux), car le pic à glace comme arme meurtrière lui inspire une variation qui, si elle n’amuse pas, ne manque pas d’être observée.


Le tout début montre une jeune femme tenter de repousser les assauts d’un homme avec qui elle vient de faire l’amour. Sur un quai de gare, ils sont sensés se dire adieu et elle lui tend les papiers qui permettront ensuite au spectateur de comprendre pourquoi. Désaccord et lutte, à la suite de quoi elle prend la fuite. Premier aperçu de la fascinante Wu Zhizhen. Jeune et très mince, visage fin et lisse et des yeux dans lesquels on croit deviner qu’elle est déjà revenue de tout. La première impression est qu’elle sait déjà que ses relations avec les hommes seront toujours identiques pour elle, son physique les attirant invariablement. On pense qu’elle cherche à les rebuter par de l’indifférence et de l’agacement. La suite du film montrera qu’il y a bien plus derrière ce masque. Le flic s’approchera de plus en plus d’elle (entre eux, ce sera autant une lutte d’attaque-défense que de séduction-résistance) et cherchera à lui faire dire ce qu’elle garde au fond d’elle-même. Il faudra des circonstances extrêmes pour l’amener à se dévoiler entièrement. C’est une femme incroyablement fidèle à ses principes.


Un film asiatique où l’action est relativement lente, le réalisateur reprenant avec bonheur les codes du film noir (voir les classiques américains depuis les années 40). L’enquête tient à quelques concours de circonstances et au face-à-face entre Zhang et Wu Zhizhen, avec notamment une séquence dans une roue qui rappelle Le troisième homme de Carol Reed. La belle ne voit toujours pas pourquoi elle dévoilerait ses secrets. Et ce n’est pas la Justice qui lui fait peur, puisqu’à ses yeux sa vie est terminée depuis une douloureuse trahison.


Réussi et original (vu deux fois pour ma part), le film combine beaucoup d’éléments remarquables : un tableau social de la Chine d’aujourd’hui (en écho par exemple au remarquable A touch of sin), une galerie de personnages qui se révèlent progressivement, un scénario retors qui ménage un très beau suspense et des choix d’images enthousiasmants (cadrages, couleurs, lieux de tournage), le tout mis en valeur par un duo d’acteurs inoubliables (notamment Gwei Lun-Mei qui, avec un jeu tout en retenue, dégage une incroyable présence).

Electron
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le 11 oct. 2014

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