On peut s’amuser, chez Verhoeven, à le voir au fil des années reprendre en permanence ses mêmes figures et thématiques sous des angles différents, dans des contextes différents, dans des agencements différents. Une constance jamais ennuyeuse.
Pourtant, Black Book, pour du Verhoeven, c'est presque bon élève. Disons moins sulfureux, extrême et frontal que ce à quoi il a pu nous habituer. Mais ses figures fétiches sont là. On retrouve par exemple ici le couple Jennifer J. Leigh – Rutger Hauer de Flesh+Blood réincarné en Carice van Houten – Sebastian Koch.
Et cette Rachel, elle a tout des personnages féminins de Verhoeven : survivante, déterminée, sacrifiant son âme et son corps dans son combat, digne, pas chialeuse, et pourtant complexe, ambiguë, difficile à cerner, humaine, tantôt sacrée, tantôt désacralisée. Une figure qui atteint peut-être son paroxysme dix ans plus tard sous les traits d'Isabelle Huppert dans Elle.
Le truc de Verhoeven, dans ce film comme dans d'autres, c'est de montrer la laideur de l'humanité, pourquoi pas parfois essayer d'y trouver de l'esthétique mais sans en faire une lubie. C'est banal, ce que je viens de dire. Et ce qu'on pourrait justement reprocher à Black Book, c'est d'enfoncer les mêmes portes ouvertes moins subtilement que d'habitude. Mais... et après ? Et alors ? Répéter en boucle les mêmes thématiques, ce n'est pas ce qu'on fait depuis l'Antiquité ? Verhoeven s'en fout de se répéter, s'en fout que le fond de son propos soit attendu : des salopards il y en a des deux côtés, des bons gars il y en a des deux côtés. Les salopards peuvent être des bons gars, les bons gars peuvent être des salopards. Le message est évident : il n'y a pas de Nazis ou de Résistants, d'Allemands ou de Hollandais, de Juifs ou de Communistes, de méchants ou de gentils, seulement des Humains, des Humains, des Humains, tantôt bourreaux tantôt victimes en fonction des aléas du vent et des vies. Ne faites confiance à personne, c'est un sermon qui est fait à Rachel au début du film. Ces Humains bestiaux peints sans atours moraux, c'est l'éternelle thématique de Verhoeven, son éternel fond autour duquel il ne se lasse pas de faire varier la forme avec maîtrise.
Côté maîtrise, allez, j'ai noté de petits accrocs par-cì par-là dans la mise en scène, par exemple les quelques secondes de fusillade sur le bateau qui sont bizarrement rythmées ; je les soulève pour le plaisir, mais je ne m'y suis pas attardé. Plus positivement, ce qui peut être noté, c'est un sens de la couleur qui frappe vraiment chez Verhoeven quand il fait de l'historique, et qui vient ici se graver jusque dans le corps à travers les teintures de Rachel. On ne se contente pas d'un contraste chaud – froid entre le décor et son envers, entre les fêtes et les geôles. Non, au froid des geôles et des caches de Résistants on n'oppose pas des teintes chaleureuses, mais plutôt des rouges vifs, des blonds qui tirent sur le jaune, des roux qui tirent sur l'orange. On ne quitte la violence rampante des souterrains que pour trouver la violence brutale de la surface.
Pas de réconfort, pas d'espoir : la bestialité est en haut comme en bas, partout, en chaque être humain. Oppresseur et oppressé ne sont que des rôles qu'on s'échange au fur et à mesure de l'Histoire. Comme le dit Rachel dans son unique moment de faiblesse, qui lui vaut d'ailleurs de frôler la mort : ça ne cesse jamais.