BigBug
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BigBug

Film de Jean-Pierre Jeunet (2022)

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J'ai une espèce de candeur qui me pousse naturellement à prendre parti pour un cinéaste quand il est face à de grands méchants producteurs qui refusent de lui fournir le pognon pour réaliser son film. Ben oui, si Jean-Pierre Jeunet n'a pas réussi à vendre son projet BigBug pendant plusieurs années, c'est forcément à cause des grands méchants producteurs. Qu'est-ce que je peux être con ! Il ne m'est pas venu à l'idée une seule seconde que si les grands méchants producteurs ont dit "non", ben, c'est parce que le scénario est à chier. Conclusion, ils n'ont pas été méchants, ils ont su juste reconnaître un (très !) mauvais script.


Par où commencer ? Il y avait du potentiel. Les êtres humains du futur qui sont devenus esclaves de la technologie. La révolte des premiers face aux derniers par l'affirmation de leur supériorité. Comme Asimov. Et le côté Big Brother à la Orwell. C'est du vu et du revu, mais ce sont des sujets d'une telle richesse et d'une telle éternelle actualité qu'ils sont inépuisables. Et sur le ton de la satire qui s'y prête bien.


Mais déjà pour l'écriture, c'est une grosse cata. Vous aimez les personnages évoluant face à une situation sortant de l'ordinaire, de leur ordinaire, les mettant en danger ? Oui, c'est normal. C'est un schéma classique, mais, bien utilisé, il fonctionne à mort. Il y a une belle palanquée d’œuvres majeures du septième art à l'employer. À partir de ce canevas, des caractères pas faits pour s'entendre ou du moins indifférents les uns envers les autres vont faire cause commune et une estime réciproque va apparaître petit à petit à travers une meilleure connaissance de son prochain.


Oubliez tout de suite cela pour cet étron. C'est plus une suite de saynètes façon Scènes de Ménages (je ne fais pas particulièrement référence à cette série à cause de la présence de Claire Chust dans la distribution !) assemblées maladroitement pendant les deux premiers tiers du film. Et au dernier, oups, durant tout ce temps, on a oublié qu'il y a un péril extérieur à combattre. Bon, fainéantise suprême, on l'incarne juste dans un seul antagoniste, pas la peine de se casser le cul à déployer un véritable univers, à approfondir ses inévitables dérives, et on balance un deus ex machina ultra-prévisible à la toute fin.


Là, vous allez me dire, ouais, mais les deux premiers tiers, c'est pour construire les relations entre les protagonistes. Ben oui, normalement... normalement... La seule chose à voir ici, ce sont des acteurs et actrices cabotiner atrocement en se contentant de gesticuler, de hurler et de mimer l'envie de baiser. Ouais, vous allez apprendre (désolé de spoiler, je vous fais passer à côté d'une révélation de ouf guedin !) que l'ex-épouse incarnée par Elsa Zylberstein adore être fessée pendant l'acte. Ouais, c'est trop drôle, elle adore se faire fesser pendant l'acte, mdr. À quoi ça sert pour la suite à part pour combler les appétits de mateurs ? Ben, à rien pourquoi ? Creuser les relations entre elle et sa fille à la place pour éviter à un moment d'oublier que la seconde est le fruit des entrailles de la première ? Ben non, pourquoi ? Mettre en scène un retour d'attirance réciproque entre l'adoratrice du spanking et son ex pour que le fait qu'ils se remettent en couple (non, mais je suis cruel avec mes spoilers, désolé !) puisse paraître couler de source et ne pas sortir de nulle part ? Ben, non, pourquoi ? Ah oui, il est bon aussi que les dialogues (je vais y revenir sur ces derniers !) rappellent à une reprise que le jeune accompagnant l'obsédé sexuel joué par Stéphane De Groodt est son fils. Oui, parce que sans cette information, on aurait pu aussi bien le prendre pour le cousin de la belle-mère de la tante du facteur vu qu'ils n'ont quasi aucun contact entre eux. Et cet accent marseillais de l'Enfer venant de l'ex-mari ; bordel, que c'est embarrassant.


L'évolution des personnages ? Ils restent exactement les mêmes du début jusqu'à la fin. Dès qu'ils peuvent sortir de l'habitation dans laquelle ils étaient enfermés, c'est comme s'ils sortaient d'un repas de famille, cool, tranquille, sans l'impression qu'ils viennent d'échapper à un cauchemar (non, c'est par bienveillance que je vous spoile, pour vous éviter une torture inutile !).


Ouais, mais c'est une comédie... Ta gueule, interlocuteur imaginaire, une comédie est une chose sérieuse qui doit, elle aussi, avoir un minimum de profondeur et de cohérence dans la façon dont agissent les personnages.


Bon, j'en suis où. Ah oui, les robots de la maison veulent devenir plus humains au lieu de se comporter uniquement en robots sans vie. C'est le fruit d'un processus psychologique explicable, donc compréhensible, plus ou moins long auquel on arrive à l'aboutissement au moment où commence l'action et que l'on peut saisir par les agissements de ces fruits de la technologie ? Non, ça arrive de nulle part et juste jeté comme cela par les dialogues.


Ah oui, les dialogues. C'est ambitieux de vouloir faire son Audiard à coup d'argots et de citations directes d’œuvres littéraires ou d'expressions entrées dans le langage courant. Sauf qu'il y a trois trucs qui clochent. D'abord, je doute que dans le futur (oui, au contraire de celui dans Delicatessen, ce futur veut avoir un minimum de crédibilité, avec en cadeau la blague la plus mal placée au monde sur le covid, le plaçant ainsi par le prisme d'une réalité que l'on connaît, c'est pour cela que je formule un reproche sur l'incohérence qui va suivre !), le français ait le droit à autre chose qu'à un appauvrissement constant et un bon étouffement sous les anglicismes (il ne faut pas être devin pour le prévoir !). Ensuite, Audiard était un type incroyablement talentueux, ce qui n'est pas le cas du type (pas envie de chercher son nom !) pour cette fiente. Et pour finir, Audiard était tellement talentueux qu'il prévoyait des répliques en fonction de l'acteur qui allait les prononcer (je m'abstiendrai de bien remuer le couteau dans la plaie en évitant d'écrire que les Blier, Gabin, Ventura, c'est un milliard de stratosphères au-dessus de ce avec quoi on est servi !), il n'essayait pas de les forcer dans une bouche qui ne convenait pas.


Pour le visuel, les effets spéciaux ? Même si j'ai trouvé personnellement l'esthétique laide, avec ses couleurs outrancières, je peux concevoir qu'il y ait des gens qui aiment ou qui ne détestent pas. Mais même si on part du principe que le visuel et les effets spéciaux seraient des perles de perfection (ce que je ne pense pas du tout, je le reprécise !), cela ne peut en rien rattraper le désastre scénaristique et des comédien(ne)s en totale roue libre.


Jeunet était tombé depuis deux films dans une médiocrité désespérante, mais il n'avait jamais jusqu'ici plongé la tête la première dans une fosse à purin. Pour Netflix, fier propriétaire d'un champ de navets géant (attention, de temps en temps, on peut avoir une bonne surprise ; ne me faites pas dire que Netflix ne produit que des navets, je considère juste qu'il en produit une quantité bien abondante !), c'est juste un de plus qui s'ajoute. Mais de la part du réalisateur d'Amélie Poulain et de Délicatessen, l'indigestion est vraiment douloureuse.

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le 12 févr. 2022

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Plume231

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