On ne comprend pas toujours les instruments de Dieu

Le sulfureux et néerlandais Paul Verhoeven qui s'attaque à un film mettant en scène une religieuse "mystique" d'un petit couvent au XVIIème siècle, en Toscane, alors ravagée par la peste … Curieux.

Un de mes éclaireurs met, dans sa critique, en perspective le film avec "le septième sceau" qui est un film métaphysique fascinant (qu'il faut d'ailleurs que je me décide à revoir pour des tas de raisons …). Alors, là, intrigant.

La présence au casting de Virginie Efira. Exaltant.

Bien que je ne sois pas fana des films "biopics", je me dis que c'est peut-être une expérience à tenter …

Et puis je connaissais un Verhoeven "préoccupé" par la violence ou le sexe. J'étais curieux de le voir aborder la religion à travers cette histoire de bonnes sœurs. Sur ce point, je n'ai pas été déçu puisque pour le même prix, j'ai eu un cocktail violence, sexe et religion…

D'abord, il faut dire que ce film peut être vu à plusieurs niveaux.

Le premier niveau, le plus évident, c'est celui du parcours de Benedetta dont on comprend dès le début que sa vie était vouée au couvent par sa famille. Son admission, les stigmates, son ascension jusqu'à devenir la mère abbesse du couvent puis les doutes jusqu'à la chute.

De ce niveau , je retire des choses intéressantes comme l'aspect mercantile de l'admission dans un couvent, la dot qui se négocie de gré à gré comme on achète une vache au marché à bestiaux … mais aussi, l'aspect politique du miracle que la (haute) hiérarchie de l'Eglise prend ou ne prend pas suivant un contexte ou une évaluation du couple "bénéfice/risque". Bien que je n'y connaisse rien à ces affaires, tout ça me parait plutôt crédible.

Il y a cette chose qui me parait terrible à mes yeux d'athée, c'est le conditionnement d'une petite gosse par la famille qui a décrété la vouer à Dieu sous le prétexte, pertinent ou pas, qu'elle a failli mourir à la naissance …

Le deuxième niveau est la critique explicite de l'Eglise et des catholiques de l'époque (sans chercher à extrapoler ou généraliser le message de Verhoeven). À commencer par la notion de foi. Qui, dans ce foutu bazar, a vraiment la foi ?

Pas le nonce (Lambert Wilson) qui est d'abord un homme de pouvoir et qui ne veille qu'à une chose, c'est que ce pouvoir ne s'effrite pas à travers les épreuves que vit la société avec l'épidémie de peste. C'est le politique qui a autre chose à faire que de s'occuper de la valetaille (les curés et les monastères) sinon pour leur rapport (financier).

Pas la mère supérieure (Charlotte Rampling) qui semble bien aimer l'argent et qui se préoccupe surtout d'éviter tout désordre. On est surpris par son manque d'empathie, ce qui est un comble pour une mère abbesse. Son effacement qu'on pourrait penser sincère est contredit par l'usage du trou dans le mur …

Pas sœur Benedetta (Virginie Efira), malgré les expressions de piété qui trompent son monde. On la devine très rapidement très fine et sachant très bien comment rondement mener son affaire. L'affaire des stigmates … Son mysticisme

Pas sœur Bartolomea (Daphne Patakia) dont Verhoeven nous la montre sous un aspect essentiellement opportuniste. Elle est là pour fuir l'extérieur et s'attache à Benedetta, …

Pas le public extérieur prompt à adorer superstitieusement ou à haïr ce qu'on a adoré la veille.

De ce deuxième niveau de lecture, je relève quand même un certain manichéisme au sens où tout, finalement, est pourri. Il n'y a rien à racheter. La mise en scène tend à accréditer ceci par l'accumulation des scènes qui montent le ridicule de diverses situations ou comportement. Le fait que chaque nonne est "mariée" à Jésus, qui dans la pratique verhoevenienne "profite", au moins spirituellement, de l'aubaine … Ici essentiellement sur Benedetta. Mais mon esprit facétieux (et iconoclaste) peut imaginer qu'il doit s'en donner à cœur joie avec tout son harem, au fur et à mesure du renouvellement des générations …

Ou la servante enceinte qui asperge le nonce de son lait maternel…

Spoiler : ou le gode taillé dans une statue de la Vierge ; on aurait pu plus classiquement considérer un cierge moins provocateur…

Ce deuxième niveau de lecture à trop vouloir démontrer, par sa provocation un peu inutile voire malsaine, par sa caricature, nuit finalement au message qui pourrait ne concerner déjà que l'utilité – sociale – sociétale - de tels couvents et le rapport à l'Eglise ou encore la problématique de la foi.

Un troisième niveau de lecture concerne, à mon avis, ce qui pourrait être un vrai sujet. La sexualité dans un couvent. Ici de femmes, mais ce serait d'hommes, ce serait pareil. La sexualité et l'hypocrisie associée. Hypocrisie au niveau de la hiérarchie de l'Eglise mais aussi au sein du couvent. Ici Verhoeven insiste lourdement avec bonnes scènes à l'appui comme il sait bien faire.

On peut d'ailleurs compléter le sujet par l'opposition voire le mépris entre les hommes qui ont le pouvoir et les femmes. Où la sexualité est l'argument de choix pour condamner sans se poser de question. Comme cette scène où le prévôt fait taire la mère supérieure qui n'a décidément pas voix au chapitre (au sens étymologique du terme …).

Pour finir, j'ai bien apprécié la prestation de Virginie Efira dans un rôle très complexe. Actrice que je ne cesse de découvrir toujours avec plaisir. À suivre.

De la même façon, Charlotte Rampling m'a semblé être parfaitement à sa place dans ce film. Ce qui n'étonnera personne.

Et puis quand même, la musique, les chœurs de femme et les chants empreints de sérénité … Ça, même athée, j'adore …

Au final, c'est un film qui est vraiment de Verhoeven au sens de l'esprit de provocation, d'expression de la violence et même du sexe. Pas inintéressant mais pas passionnant non plus car Verhoeven reste peut-être un peu trop au niveau de la caricature pour certaines questions. Et pourtant, la phrase prononcée par Benedetta est lourde de sens.

On ne comprend pas toujours les instruments de Dieu


JeanG55
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le 14 avr. 2023

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JeanG55

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