"Ne connaissez-vous pas vos propres sentiments ?"

Je sors d'une séance de Benedetta.
Il y a plusieurs niveaux de lecture et j'ai choisi de partager l'un d'entre eux.
Benedetta Carlini est la fille unique d'une famille riche, qui la destine à la vie catholique religieuse. Elle évolue dans la période où le christianisme est en proie à la contre-réforme, contre le protestantisme. L'enjeu est donc grand, d'autant que la peste envahit le territoire.
Je ne sais pas si Benedetta est une sainte, une lesbienne ou les deux ou rien de cela, car ce n'est pas ce qui a retenu mon attention dans ce premier visionnage. Verhoeven ne serait peut-être pas content de ma lecture, et bien que je l'apprécie énormément, dans ce genre-là, il n'est pas Cronenberg, à qui j'ai beaucoup pensé tout au long de ces deux heures.
J'ai choisi de regarder Benedetta à travers les "voies terrifiantes de Dieu", car on ne parle que de Dieu, il n'est pas question de fils de Dieu ou de Seigneur et les personnages baignent dans l'interprétation douloureuse christique.
Benedetta se vit elle-même comme le corps d'accueil de Jésus, en fusion de plus en plus grande avec lui : Il parle par sa bouche, Il s'exprime par son corps... Il n'y a de désir que de Dieu ; l'équation étant Benedetta = Jésus = Dieu.
Il m'a semblé relever deux phrases centrales. Celle que Paul Verhoeven met dans la bouche du Nonce de Florence, alias Lambert Wilson :



Après tout nous devons tous jouer notre rôle jusqu'au bout



Et celle que prononce Soeur Jacopa, campée par Guilaine Londez (que j'aime infiniment) :



Dieu te parlera dans beaucoup de langues, si ton coeur est assez courageux pour s'ouvrir à lui



Partant de ces deux bords, Verhoeven nous montre presque-tout ce que l'on pourrait rencontrer dans une telle configuration : les crises, peut-être d'hystérie, que l'on retrouvait chez nombre de ces personnalités aux prises avec une passion christique dévorante, le masochisme dans la flagellation, le sadisme et la jouissance qui en ressort. D'ailleurs, la souffrance dans la chair nous l'entendons dès le début lorsque Benedetta reçoit sa première tenue rugueuse :



Ton pire ennemi est ton corps ; il ne faut pas se sentir trop bien dedans.



Le paradoxe sera pour Benedetta d'un côté de veiller à souffrir dans son corps et d'un autre côté d'en satisfaire le désir. Et Paul Verhoeven dialectise, dès les premières minutes, le trivial (un pétomane, une fiente de colibri...) et le sacré dans cette phrase étonnante et polygame selon laquelle Benedetta devient



une nouvelle épouse pour le Christ



jusqu'à la rencontre avec Bartolomea, laquelle rencontre transforme un peu la symptomatologie. Il est alors question de se réfugier dans l'autre. Mais cela ne tiendra qu'autant que Bartolomea accréditait les paroles de Benedetta. Au premier doute le symptôme repartit de plus belle.


Un dernier mot sur la distribution qui pour moi est parfaite : Virginie Efira est entourée entre autres de la formidable Charlotte Rampling, face à elle Olivier Rabourdin et le formidable Hervé Pierre, puis Lambert Wilson à qui la tenue religieuse semble aller si bien.


Encore une fois il y avait plein d'autres lectures et je suis certaine que d'autres critiques auront pris ces bords.
Benedetta est donc, selon moi, plutôt réussi, bien interprété, assez intelligemment traité, ce qui m'a conduit à m'intéresser plus à une lecture psychologique de Benedetta. Ces personnages m'ont toujours fasciné.
Il faudra que je le revois.
Je vous souhaite une bonne séance !

Créée

le 12 juil. 2021

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Agyness-Bowie

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