J'avais laissé tombé L'écume des jours de Gondry, trop influencée par les mauvaises critiques, trop vu dans la ville et les bandes-annonces, etc. Quand j'ai vu que Belle du Seigneur était adapté sur grand écran, je suis passée de l'enthousiasme béat - Solal qui sort du livre, quand même - au rejet catégorique - je vais être déçue, en plus Natalia Vodianova, sortie d'une pub Etam, est-ce qu'elle saura jouer Ariane - et à tout un tas de questions du même genre liés à la peur de voir un de mes romans préférés et un chef d’œuvre littéraire, réputé inadaptable, spolié de son sens profond et abîmé par l'image.

Pour rappeler l'histoire (1 110 pages) en quelques mots : Solal des Solal, issu d'une famille juive de Céphalonie, ayant connu une fulgurante ascension, est sous-secrétaire général de la Société des Nations (SDN) à Genève. Brillant, imparable séducteur, fin diplomate, il s'ennuie dans ce "cirque" des nations qui se cantonnent à leurs égoismes nationaux, au lieu de faire face à la montée du nazisme et aux persécutions des juifs d'Allemagne. Sa rencontre avec Ariane d'Auble, Mme Adrien Deume, riche héritière issue de la noblesse genevoise, va bouleverser leur vie et l'histoire de la littérature.

Que penser alors de l'adaptation ? Dire d'abord qu'après quelques expériences, dont les plus récentes concernent Anna Karénine et Hannah Arendt, il faut revoir ses ambitions à la baisse face à l'adaptation de tels ouvrages/auteurs. Des trois, j'ai trouvé qu'Anna Karénine était le plus réussi. En prenant le parti pris d'une mise en scène complètement décalée du roman, très théâtrale, le film nous emporte dans l'histoire sans dénaturer le récit, il le sublime complètement. Ce qui dessert H. Arendt et Belle du Seigneur, c'est le fait de coller à la narration et de retranscrire a minima, le propos, la pensée, les points saillants du récit. On est alors forcément frustré de ne pas retrouver la complexité du livre, voire de la philosophie, qui peut nous embarquer pendant la lecture.

Là où Belle du Seigneur aurait pu s'épargner cet écueil, c'est la mention "freely adapted" au début. On aurait pu espérer que Glenio Blonder, passionné par l'histoire, allait nous étonner. Au lieu de cela, j'ai passé une bonne partie du film - très chronologique, très lissé, très académique, et TROP, beaucoup TROP musical- à comparer le film et le livre : Adrien Deume est beaucoup trop beau pour être méprisable, on ne comprend pas du tout le contexte familial qui pousse Ariane dans les bras de Solal, mais où sont les Valeureux, la famille de Solal (?!) et ainsi de suite. En sublimant la beauté du couple, celle du décor et des paysages, le film anéantit complètement le sens de l'histoire.

Ariane et Solal, c'est d'abord une passion, un tourbillon d'amour intemporel qui dépasse tous les codes sociaux, tous les impératifs, toutes les pesanteurs ; c'est l'impératif catégorique de l'amour. Au lieu de cela, le film nous confronte de suite à deux enfants gâtés rongés par l'ennui et le souci du luxe, qui, leur amour consommé, usé, ne trouve d'issu que dans la mort. Mais entre temps, il y a cette année entière d'incroyable "entretien" de la passion, où Albert Cohen nous épuise de détails illustrant la nécessité de figurer la perfection de l'être aimé. On ne le voit pas non plus.

J'ai parfois eu l'impression de regarder une publicité très réussie pour une marque de bagages de luxe, l'héroïne voguant cheveux au vent sur le Lac majeur. C'est donc très beau, mais ça n'épuise pas le sujet. Si vous allez voir le film, vous aurez un aperçu "papier glacé" du roman de Solal et d'Ariane et de la tourmente historique qui se dessine dans les années 30. Mais de cette passion, de la critique sociale de la bonne société, de l'amour d'A.Cohen pour son peuple, vous ne saurez pas grand chose. A trop suggérer, le film oublie l'essentiel.
LolVSteiner
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le 24 juin 2013

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