"Belladonna", ou le film d'animation qui bouscule et questionne la notion de genre, tant on a affaire à un objet inclassable, bigarré, excentrique, aux inspirations et thématiques très diversifiées. On baigne constamment dans une ambiance sensuelle mais inconfortable (il est quasiment tout le temps question de viol), érotique mais violente, poétique mais viscérale. Années 70 obligent, l'ensemble baigne dans des vapeurs psychédéliques plutôt originales (disons qu'on est bien loin du flower power, la vision est japonaise mais porte sur un récit européen) qui se font plus ou moins insistantes, parfois en sourdine, avant de réapparaître sous la forme d'un puissant accès de délire visuel et sonore. Stroboscopique, aussi.


L'ensemble est particulièrement inégal, ou du moins hétérogène. "Belladonna" est quelque chose de proprement extraordinaire dans le paysage (de toute époque, toute nationalité) du cinéma d'animation... Dans les thèmes, avec le conte médiéval "classique" narrant l'amour difficile entre deux pauvres serfs et la révolution sexuelle traitée de manière extrêmement radicale, radicalité qui caractérise assez bien le film dans son ensemble. Dans le ton, alternant régulièrement entre comique et sordide, entre psychédélisme acidulé et poésie visuelle à la Klimt (à mi-chemin entre Hope II et certaines portions de la Frise Beethoven). Et dans les dessins, entre illustrations inertes animées par un balayage horizontal ou vertical de la planche et dessin animé à proprement parler, entre zooms avant et zooms arrière, entre traits brouillons et animation foisonnante.


La dimension psychédélique et quelque peu underground de l'ensemble rend la compréhension de certaines parties parfois hasardeuse, avec notamment le final sur des images de la Révolution Française à travers les yeux de Delacroix et La Liberté guidant le peuple. L'hommage au rôle des femmes est un peu abrupt, comme s'il manquait une séquence pour vraiment faire le lien. Mais l'intérêt de "Belladonna" reste entier, que ce soit du point de l'image de la contre-culture des 70s telle qu'elle était perçue au Japon ou de la poésie morbide qui distille de temps à autre son charme vénéneux. La séquence sur la peste noire est à ce titre une vraie réussite.


[AB #100]

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le 27 juin 2016

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Morrinson

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