Believer
6.3
Believer

Film de Lee Hae-Young (2018)

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En 2018, Believer (Lee Hae-Yeong), un film au budget moyen, crée la surprise en atteignant le million d'entrées en 5 jours, puis les trois millions en 12 jours, pour finalement se classer 4e au box-office local avec 5 millions de spectateurs (et 10e au box-office total de l'année). Remake du film chinois Drug War (Johnnie To, 2012), il séduit par son intrigue complexe, ses scènes d'action rapides et nerveuses. Le film attire également les foules pour voir l'acteur Kim Joo-hyuk (My Wife Got Married, 2008 ; The Servant, 2010 ; Yourself and Yours, 2016) dans son dernier rôle à l'écran, car il a été victime d'un accident de voiture peu de temps avant la fin du tournage.


Le film est resté relativement méconnu à l'échelle internationale jusqu'à sa récente re-mise en avant (nov 2023), avec la sortie d’une suite inattendue sous forme de production Netflix.


L'année 2018 a été marquée par une série de déceptions au box-office coréen, avec une succession d'échecs de films très attendus tels que Illang : La Brigade des Loups (Kim Jee-woon), Swing Kids (Kang Hyeong-cheol), Take Point (Kim Byung-woo), Seven Years of Night (Choo Chang-min), Psychokinesis (Yeon Sang-ho), The Drug King (Woo Min-ho) et Jo Pil-ho : Souffle de Rage (Lee Jeong-beom) ramenant les parts de marché du cinéma coréen à 51 %. Sur la scène internationale, les choses se présentent mieux, avec une série de superproductions spécialement conçues pour le marché mondial, capitalisant sur l'engouement suscité par Le Dernier Train pour Busan (Yeon Sang-ho, 2016). Rampant (Kim Sung-hoon), est lancé simultanément dans 74 pays, tandis que le deuxième volet de l'adaptation du webtoon (bande dessinée numérique) Along with the Gods : Les 49 Derniers Jours (Kim Yong-hwa) est diffusé dans une trentaine de territoires.


Ce sont surtout des films au budget moyen qui tirent leur épingle du jeu, tels que Intimate Strangers (Lee Jae-gyu), The Spy Gone North (Yoon Jong-bin), Default (Choi Kook-hee), On Your Wedding Day (Lee Seok-geun), Petite Forest (Yim Soon-rye) et... Believer (Lee Hae-Yeong).


Believer est l’adaptation d'un film d'action chinois, Drug Wars (2012), réalisé par Johnnie To. Ce dernier figure incontestablement parmi les cinéastes hongkongais les plus renommés mondialement dans les années 2000, aux côtés de Wong Kar-Wai. Commençant sa carrière comme réalisateur de productions résolument commerciales dans les années 1980, il gagne une reconnaissance locale en réalisant plusieurs comédies avec la superstar en devenir, Stephen Chow (Un Couple Explosif, 1992 ; Mad Monk, 1993) ainsi que les films d'action The Heroic Trio et sa suite Executioners (tous deux en 1993).


À la veille de la rétrocession de 1997, il fonde, en collaboration avec son coscénariste Wai Kai-Fai, la société de production Milkyway Image dans le but de réaliser des films plus personnels. Après avoir attiré l'attention avec une première série de films présentés sur le circuit des festivals du monde entier, tels que Beyond Hypothermia (Patrick Leung, 1996), The Odd One Dies (1997), Expect the Unexpected (1997) et The Longest Nite (1998) (tous trois réalisés par Patrick Yau), il fait une percée spectaculaire sur la scène internationale avec The Mission (1999), PTU (2003) et son remarquable diptyque Election (2005/06).


Drug Wars n'est certainement pas son meilleur film, mais il est le tout premier polar « officiel » avec des armes à feu dans l'histoire du cinéma chinois contemporain. Il y a bien sûr eu d'autres films avec des fusils et des revolvers auparavant, mais toute représentation officielle était largement interdite, ne serait-ce que parce que, selon les autorités, cela « n'existait pas » dans la société chinoise et ne pouvait donc pas être montré au cinéma. Le long-métrage, dans son ensemble, est une véritable curiosité pour aborder d’autres sujets fondamentalement tabous, même si certaines séquences, et notamment la fin, ont clairement été conçues pour contourner la censure de l'époque (et ne seraient plus du tout tolérées dans la Chine actuelle...).


L'une des clés du succès du remake coréen de Drug Wars, Believer, réside justement dans la présence de nombreuses séquences de fusillades. Certes, des scènes d'action et de combats armés étaient présentes dans des productions antérieures, mais en-dehors des films de guerre, elles ont plutôt été rares dans le cinéma coréen à partir de 1971, avec le renforcement de la censure par le gouvernement sud-coréen interdisant tout film faisant l'apologie de la violence et du sexe.


Cette mesure a incontestablement entravé l'évolution des films de gangsters, qui avaient, à la fin des années 1960 et au début des années 1970, tendance à rivaliser dans des séquences spectaculaires afin de surpasser leurs concurrents. Elle a également contribué à façonner l'une des principales caractéristiques des films coréens : le recours au combat à mains nues plutôt qu'à l'usage d'armes à feu, à la différence des films américains de l'époque. Cette pratique a perduré dans les productions plus contemporaines et a encore été renforcée par l'interdiction totale de la possession d'armes à usage militaire. Ainsi, la plupart des confrontations étaient résolues à coups de poings, parfois en intégrant des techniques de l'art martial national, le taekwondo. Il n'était pas rare d'assister à l'utilisation d'un arsenal d'objets tels que des battes de baseball, des couteaux, ou …des marteaux.


Nom de Code : Shiri (Kang Je-gyu, 1999) est l'un des premiers films d'action grand public à intégrer de nombreuses fusillades, prenant pour modèle le style hollywoodien alors en vogue. Bien que d'autres productions aient suivi, elles ne sont pas aussi fréquentes qu'on pourrait le penser, compte tenu de l'échantillon peu représentatif (et très spécifique) des longs-métrages coréens sortis en France. Ainsi, Believer suscite également beaucoup d'attention à l'époque de sa sortie en raison de ses séquences d'action impliquant des armes à feu.


Inévitablement, un remake est confronté à la comparaison avec le matériel original. L'intelligence du réalisateur Lee Hae-young et de son coscénariste Jeong Seo-kyeong (collaborateur de longue date de Park Chan-wook, ayant coécrit Lady Vengeance, I'm a Cyborg, But That's OK, Thirst, Ceci est mon sang et Decision to Leave) réside dans le fait qu'ils aient conservé uniquement les grandes lignes de l’original : un trafiquant de drogue contraint de s'associer à un inspecteur pour démanteler le puissant cartel auquel il était affilié. L’intrigue reprend certains personnages-clés, tels que le duo de fabricants muets (un homme et une femme dans Believer), certaines séquences spécifiques, et le jeu de dupes qui rappelle fortement Usual Suspects (Bryan Singer, 1995), faisant que le spectateur perd progressivement sa certitude sur la domination entre policiers et criminels dans les différentes situations.


Believer peine à se mettre en place, avec une phase introductive inutilement confuse, avant de véritablement décoller lors de la collaboration entre l'inspecteur Won-ho et Rak, une petite frappe membre du cartel désireuse de se venger du mystérieux « Monsieur Lee », à la tête du cartel. Les premières séquences d'«infiltration » figurent parmi les plus réussies du film, avec feu Kim Joo-hyuk, totalement déchaîné dans le rôle d'un trafiquant sous l'emprise de la drogue et peu friand des ampoules LED. Sa présence dynamise l'intrigue et le film avec des explosions de colère et de violence


Malheureusement, la suite ne parvient pas tout à fait à répondre aux attentes, avec une intrigue inutilement complexe visant à maintenir un suspense, rapidement décelable par le spectateur averti. Lee Hae-young a débuté en tant que scénariste sur des productions telles que Conduct Zero (Joh Keun-shik, 2002), Au Revoir, UFO (Kim Min-jin, 2004) et Arahan (Ryoo Seung-wan, 2004), tout en faisant ses premières armes en tant que réalisateur avec un court-métrage inaugural intitulé Coming Out (2000). Ce dernier utilise la figure du vampire comme métaphore pour explorer les préjugés de la société à l'égard des personnes ayant des identités de genre non binaires. Par la suite, il dirige la comédie sociale Like a Virgin (2006), mettant en scène l'un des premiers rôles d'un transgenre dans le cinéma commercial, ainsi que Foxy Festival (2010), surfant sur la tendance des comédies érotiques de l'époque en explorant les préférences sexuelles d'un groupe de trentenaires dans un quartier de la classe moyenne supérieure de Séoul.


Lee Hae-young fait partie de la génération de réalisateurs des années 2000 / 2010, à l'instar de Kim Jee-woon, qui diversifient les genres d'un projet à l'autre pour explorer les codes et les limites de chaque genre. Après avoir écrit le thriller de vengeance 26 Years (Cho Geun-hyeon, 2012), il réalise le thriller horrifique et psychologique Disparues (2015), actuellement disponible sur Netflix. Alors que les séquences de suspense de Believer sont bien maîtrisées, celles d'action s'avèrent nettement moins convaincantes, souffrant surtout en comparaison avec celles du Drug Wars original, bénéficiant du savoir-faire indéniable du réalisateur hongkongais Johnnie To. Curieusement, dans la seconde partie, les scènes inspirées de l'original s'intègrent également moins harmonieusement que celles entièrement nouvelles, comme si Lee Hae-young était finalement plus intéressé par la mise en valeur de ses propres ajouts que par la simple reproduction de l'original.


Un mot par rapport au dénouement avec une différence fondamentale entre la version du film initialement diffusée dans les salles coréennes et celle, plus longue de huit minutes, utilisée ultérieurement pour le DVD et pour la version internationale (et qui est la version actuellement disponible sur Netflix de 2h12) : en plus de diverses extensions de séquences tout au long du film, fournissant quelques explications supplémentaires sur l'identité de « M. Lee », la modification la plus notable concerne la fin. Cette dernière prend une tournure différente, offrant un indice important sur l'issue de la confrontation finale entre deux personnages-clés, tandis que la version initiale laissait planer le doute.


Une fin, de toute façon totalement remise en cause, suite à la mise en ligne, sur Netflix, de Believer 2 (Baek Jong-yul, 2023).


Un remake honnête de Drug War, Believer est un polar d'action relativement efficace, même si ses ficelles sont parfois un peu grossières et certaines séquences d'action restent inabouties. Il saura néanmoins captiver les amateurs du genre coréen, offrant l’habituelle dose de beauté plastique et de scènes de violence gratuites. La suite, Believer 2, est malheureusement beaucoup moins séduisante et convaincante et met tristement en exergue les limites du « système Netflix » et de son incessante quête de « mondialisation » (moins « Hallyu », que « wood »).



(texte, qui emprunte quelques idées et paragraphes de mon propre ouvrage « Hallyuwood – Le Cinéma Coréen », E/P/A Editions).

Créée

le 22 nov. 2023

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