Ça tient à quoi, la magie d’un film ? À quelque chose de ténu, de fragile et d'intime. Et Beginners a en lui une magie délicieuse qui donne envie, à peine sorti du cinéma, d’adopter un Jack Russell qu'on appellerait Arthur. Envie de faire du patin à roulettes dans le hall des hôtels, d’être une actrice des années 50, de se grimer en Sigmund Freud, d'expérimenter le Kâmasûtra, de taguer des âneries sur les murs, de ne jamais être triste, et d’être toujours amoureux… Toqué, poétique et fantaisiste, le deuxième film de Mike Mills a un charme (de) fou, aussi léger et beau que la plus énorme, que la plus incroyable des bulles de savon.


Pas nigaud, pas lourd, pas pleurnichard, Beginners semble réinventer à lui seul la comédie romantique américaine, des années 40 à aujourd’hui, parvenant à idéaliser, à colorer et embellir l’ensemble tout en évitant (ou jouant avec) les poncifs du genre. À l’instar de Punch-drunk love, autre chef-d’œuvre de loufoquerie aux cœurs qui s'emballent, deux êtres un peu cabossés, décalés tout le temps, s’entichent l’un de l’autre malgré les imprévus de la vie qui semblent vouloir la leur compliquer à dessein.


Mariant naturellement l’esthétique du cinéma indépendant américain à celle d’un cinéma européen, Beginners a plutôt une fière allure. On sent par ailleurs la patte de l’ancien graphiste/illustrateur dans cette belle économie formelle (montage, composition des plans, photographie tamisée) qui fait souvent mouche. En partie autobiographique, Mills décline délicatement les gammes de la relation amoureuse liée à celle d’avec un père qui, lui, réapprend à vivre à 75 ans (assumant enfin une homosexualité longtemps refusée) tel un adolescent qui découvrirait, pour la première fois, les boîtes de nuit et l’indépendance, les feux d’artifice et les étoiles, les baisers et les soirées entre amis.


Les personnages sont comme des gamins face à la naissance de leurs sentiments, des apprentis, des débutants, des beginners donc. Dans une absence de repères établis, face à la difficulté de s’émanciper à tous les âges, Oliver, Anna et Hal s’exercent à ne plus avoir peur de l’engagement, du temps qui passe, de la vieillesse ou de la mort. Par de-là cet apprentissage en douceur, il y a également des envies plus secrètes et plus mélancoliques comme celle de pouvoir dire aux autres ce qu’il est possible de ressentir vraiment, en un regard ou avec des mots (Anna ne communique, au début de sa rencontre avec Oliver, que par des phrases écrites sur un carnet) ; celle de construire de si minuscules bonheurs au quotidien, ou celle encore de se dire que les souvenirs que l’on retient ne peuvent être que merveilleux, forcément.


Tous les acteurs sont magnifiques et terriblement émouvants, le duo en tête bien sûr (Ewan McGregor et Mélanie Laurent qui donne grâce et charme à son personnage sans que l’on puisse, pour une fois, la trouver agaçante), et Christopher Plummer surtout qui trouve ici son presque meilleur rôle, "le rôle de sa vie", comme on dit (avec un Oscar à la clé). Il est le vrai héros papy gâteau homo de cette comédie douce-amère fonctionnant par petites touches féériques, emballée d’une divine B.O. faite de vieux standards jazz et old blues (Hoagy Carmichael, Gene Austin, Jelly Roll Morton…) qui ne lasse pas de nous ravir un peu plus encore de ce film tendre comme un chamallow fait pour les grands enfants rêveurs, et midinettes un peu sur les bords.


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mymp
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le 6 févr. 2021

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