"On se fait un petit before du côté de chez moi, ce soir. Tu viens?"


Moi, à ma bonne copine Babette, l'autre jour au téléphone.
Babette, pour vous situer, c'est cette fille que vous avez déjà sûrement rencontrée des milliards de fois sous une forme ou sous une autre; grand spécimen blond platine du type brave-conne-grave-bonne, un peu godiche, beaucoup trop lunaire, passionnément candide, jolie à la folie. Le résultat d'une union improbable entre François Pignon et Marilyn Monroe -des fois que ce bougre de François aurait eu la chance de conclure avec la poupée platine d'Hollywood, par un soir de pleine lune, au solstice d'hiver, armé d'un bouquet de trèfles à quatre feuilles (parce qu'il lui en aurait fallu, de la chance, au malheureux).
Je l'aime bien, ma Babette, mais elle peut être cruellement fatigante parfois.


"Désolée, mais j'ai un tas de trucs à faire", qu'elle répond


Ce qui devait sûrement être la traduction française approximative des sous-titres version originale: sorry, too much internet to do.
Parce que je l'entendais aux intonations mollassonnes de sa voix; la Babette, j'te l'dis, elle allait passer sa soirée à donner raison au cliché de la blondasse des rom-coms américaines. Tu sais, celle qui s'enfile un pot de glace Häagen Dazzs (au lait) entier, emmitouflée sous une couverture, devant Ghost ou Sex&TheCity (enfin, Babette est plutôt du genre N'oublie Jamais ou Gossip Girl, mais vous voyez le genre).
Elle est un peu comme ça, ma Babette, faut pas lui en vouloir; inconditionnelle ermite romantique, le genre à vivre de wifi et d'eau fraîche, ambiance laisse-moi kiffer la vibe avec mon chat.


"Je suis sérieuse, bécasse.
Je reste poli, voyez vous-même (en vrai, j'avais pensé pétasse, et m'étais rattrapé juste à temps).
Habille tes fesses et ramène-les de par chez moi, pronto. Dièse, ceci est un ordre. Dièse, ton sergent instructeur te l'ordonne."


Du coup, j'entends Babette qui s'ébroue au bout du fil. Il faut dire que ma voix de tenancier du PMU en impose. D'ailleurs, elle sait que je sais qu'elle sait que je suis prêt à en découdre.


"Mais j'ai une flemme olympiqueuh... Et puis, c'est quoi, ce plan? Un before de koaaaa?"


Elle geint; moi, je jubile. Triomphant, esquissant un large sourire Colgate copyright:


"Mmmh... Petit qui pro quo, en fait, on s'est mal compris.
(Tu parles, je préparais ma combine avec la plus vile roublardise depuis le début de la conversation. Un plan rudement bien rôdé, t'as vu.)
Quand je dis un p'tit before, je parle d'un vrai Before. Le genre qui en jette, tu vois. Le genre où Julie Delpy et Ethan Hawke sont invités, et où ils nous guident de plan-séqs en plan-séqs qu'ils agrémentent de dialogues succulents. Avec spontanéité. Nous, on les suit allègrement dans leur promenade, tu parles, on gambade comme des p'tits fous. On en redemande. Eux, dans leur grande mansuétude, ils nous servent entrée, plat, dessert: Before Sunrise, Before Sunset, Before Midnight. Ah, ça! Mon Baby, j'te le dis, cette rétro Before va envoyer du lourd, du très, très lourd. Parce que ce soir, on se fait l'intégrale -et je ne parle pas d'épilation." je rajoute, avec ma voix de folle.


Le résultat de mon quolibet est plus immédiat que ne le disent les pubs à la télé: Babette cède sans autre forme de procès et éclate d'un rire à me rappeler combien je l'apprécie, et ce même si nos goûts sont séparés par le grand écart de JCVD. Parce qu'être aussi blonde à l'extérieur qu'à l’intérieur a quand même un avantage: elle est si bon public, ç'en est délicieux.


"Pfiou, fallait le dire tout de suite, grognard.
(Elle avait sans doute voulu dire connard, avant de se raviser in extremis.)
Si c'est Julie et Ethan qui régalent, j'accoure à tout berzingue. Et merci pour le carton d'invitation, tu sais bien que c'est une proposition que je ne peux pas refuser."


"Bah! On laisse pas Baby dans un coin de toute façon, tu sais bien."


Babette qui cite Le Parrain et moi qui cite Dirty Dancing, c'est un peu le monde à l'envers. Pour bien comprendre l'exploit que constitue la trilogie des Before, il faut d'ailleurs préciser qu'elle et moi sommes situés sur deux continents cinématographiques distincts, séparés par un océan entier de différences gustatives. Dans cet océan navigue notamment le Titanic, son film préféré (non, je traine pas qu'avec des cinéphiles de premier ordre, merci very much); Le Parrain, un de mes petits chouchous à moi, y barbote aussi joyeusement.
C'est un véritable exploit de réussir à mettre d'accord une blondasse qui trouve Don Corleone plus soporifique que Rondoudou (anecdote véridique, elle a jamais réussi à tenir plus de 20min devant le film) et un brun qui se poile un peu énormément en voyant Leo lâchement abandonné à la noyade (faut avouer que cette pathétique scène est terriblement fondante, sans mauvais jeu de mot). Before Sunrise, c'est d'ailleurs la seule romance qui convainc aussi bien la guimauve entichée de Gosling-Pattinson-Tatum qu'elle est, que le cinéphile endurci pur-sang-pur-malt que je suis moi. Donc oui, ça relève du miracle; plus miraculeux que le couple Pignon-Monroe, même. C'est dire.


"Bon, hâte-toi donc, si tu ne veux pas qu'on commence à festoyer sans toi."


"Je vais te suicider, si tu oses faire ça, baltringue. J'arrive."


(Polite as fuck, la grande tour de Babette.)


"Va, cours, vole. Before it's too late."

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le 14 févr. 2016

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