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Pour son tout premier long métrage de fiction original, Netflix a fait fort. L’entreprise américaine a ainsi déboursé 12 millions de dollars pour récupérer les droits de distribution de Beast of No Nation, soit le double du budget de ce film de guerre indé signé Cary Joji Fukunaga (True Detective). Et si Netflix gagnait un Oscar ?


Né en Californie d’un père japonais et d’une mère suédoise, respectivement remariés à une Argentine et à un Mexicain, Cary Joji Fukunaga possède, de toute évidence, une identité et une culture plurielles. Ses séjours à l’étranger lui ont par ailleurs permis de maîtriser le français et l’espagnol, en plus de l’anglais et du japonais. Dès lors, pas étonnant que l’œuvre de ce réalisateur cosmopolite s’éparpille dans de multiples directions, notamment géographiques et thématiques. Après avoir décrit l’émigration d’une Hondurienne et d’un Salvadorien (Sin Nombre en 2009), adapté un roman anglais du XIXe siècle (Jane Eyre en 2011) et mis en scène une enquête sur une série de meurtres en Louisiane (saison 1 de True Detective en 2014), Fukunaga a choisi de raconter le destin d’un enfant-soldat en Afrique de l’Ouest.


D’emblée, le personnage d’Agu esquive les clichés misérabilistes et apparaît comme un petit garçon ordinaire, espiègle et rusé. Peu importe qu’il habite un village coincé dans une « zone tampon » au cœur d’un pays menacé par le chaos de la guerre civile, la vie suit son cours. L’introduction montre le gamin et ses potes tentant de vendre une télévision sans écran. Le concept ? La « télé imaginaire » ! Quand on regarde dedans, des pitres postés de l’autre côté imitent le contenu des programmes à grand renfort de théâtralité : soap opera, danse, kung-fu… et même film en 3D (un des gosses sort alors sa tête du cadre).


Jusqu’ici épargnée par la guerre civile qui gronde, la famille d’Agu doit finalement fuir les combats. Séparé de sa mère puis témoin du meurtre de son père et de son frère, le garçon de 11 ans n’a d’autre choix que de fuir dans la brousse. Il est finalement « sauvé » par un bataillon rebelle dirigé par le Commandant. Si l’action se déroule dans un pays indéfini, tout est fait pour rendre l’univers crédible. Casques bleus (Nations unies) et casques blancs (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) y jouent par exemple un rôle important. Le tournage s’est principalement déroulé au Ghana, pays dont sont originaires plusieurs acteurs, notamment Abraham Attah (Agu), Ama K. Abebrese (sa maman) et Grace Nortey (la sorcière). Pour l’anecdote, le Britannique Idris Elba (le Commandant) a aussi des origines ghanéennes par sa mère, son père étant Sierra-Léonais.


Rite de passage attendu, la terrible scène du meurtre à la machette métamorphose Agu en véritable enfant-soldat. Plus tard, le spectateur le suit déambuler au ralenti, flottant au milieu de teintes rosées induites par la drogue, au milieu d’un carnage auquel il participe de façon irréelle, kalachnikov à la main. Pris sous l’aile du Commandant, Agu progresse vite dans l’art de tuer, sans toutefois parvenir à détruire l’enfant qui vit en lui… et ressurgit ponctuellement à l’occasion d’un jeu ou lors d’une discussion avec son pote muet, Strika, un autre enfant-soldat. À la fin du film, alors que l’espoir pointe, Agu refuse de raconter son histoire, de peur qu’on le considère comme une « bête » ou un « démon ».


Dans cette absurde guerre civile, toutes les factions pillent, tuent, violent. C’est bien sûr le cas du bataillon d’Agu. Le charismatique Commandant – interprété par un très convaincant Idris Elba (The Wire, Luther, Pacific Rim) affublé d’un accent taillé au couteau – tient ses troupes avec un mélange de culte de la personnalité, de christianisme, de rituels traditionnels et de superstitions. Violence et camaraderie se mêlent. « Vous êtes ma famille », leur confie un jour le Commandant, sans que l’on ne sache s’il parle sincèrement ou s’il tente simplement de maintenir la cohésion. Sans doute un peu des deux.


Particulièrement brutale et glaçante, cette fresque guerrière n’en demeure pas moins magnifique par sa photographie (aussi signée du réalisateur) et sa mise en scène, le tout sublimé par la musique vaporeuse de Dan Romer, déjà compositeur de la BO des Bêtes du Sud sauvage. La longueur et la beauté des plans évoquent le cinéma de Terrence Malick – admiré par Fukunaga –, notamment La Ligne Rouge, autre grand film de guerre ne faisant pas l’erreur de se focaliser sur l’action pure.


Diffusé dans un nombre limité de salles aux États-Unis, Beasts of No Nation pourra donc participer à la course aux Oscars. Doté d’un sujet fort, brillamment interprété et formellement bluffant, le long métrage de Cary Joji Fukunaga a toutes ses chances.


(http://www.dailymars.net/les-betes-de-louest-sauvage-critique-de-beasts-of-no-nation-de-cary-joji-fukunaga/)

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le 22 oct. 2015

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