Bâtiment 5
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Bâtiment 5

Film de Ladj Ly (2023)

Acteur, scénariste et réalisateur issu de l'immigration et très engagé, Ladj Ly nous livre ici le second volet de sa trilogie sur la banlieue, film évidemment très attendu après son premier long-métrage, le "coup de poing" multi-primé les Misérables [dont le prix du jury au festival de Cannes 2019 et 4 Césars en 2020 avec celui du meilleur film], sur le thème principal des violences policières.

D'abord intitulé les Indésirables (en clin d'œil aux Misérables), titre qui aurait été très adapté au propos de Bâtiment 5, ce deuxième volet, situé près de 20 ans avant le premier, aborde, toujours avec les mêmes tensions, le sujet du mal logement dans un quartier de banlieue imaginaire de Montvilliers, sur concentré en populations immigrées hélas très peu intégrées, et "parquées" dans d'immenses barres d'immeubles devenues vétustes.

Remplaçant au pied levé le maire légitime, disparu accidentellement dans la destruction d'une tour, prélude à un vaste plan de rénovation du quartier, son adjoint Pierre Forges, ce pédiatre qui fait de la politique avec romantisme selon sa femme, va devoir endosser les projets de son prédécesseur.

Joué par un excellent Alexis Manenti (déjà vu dans les Misérables), épousant parfaitement un rôle ingrat, ce maire improvisé prend ses ordres auprès de son parti politique, dont le bord n'est judicieusement jamais donné, tous les partis ayant failli tour à tour dans leur politique de la ville. Maladroit, pleutre, fourbe, dépourvu de tout charisme, et ne résistant pas aux magouilles pour arriver ses fins, Pierre Forges croit bon appliquer à la lettre et sans discernement les lois de la république.

Ce maire illégitime va se heurter à Haby Keita, une habitante du Bâtiment 5 avec sa famille, lumineuse et battante dans ce monde en plein désarroi, et qui va tout faire pour sauver celui-ci de la destruction ! Interprétée par une Anta Diaw admirable dans son rôle et exprimant avec aplomb ses avis et ses sentiments, Haby est très impliquée dans la vie de la commune. Employée à la mairie, s'affichant avant tout comme une Française, elle ne manque pas de ressort pour arriver à ses fins, en toute légalité, surtout lorsqu'elle comprend que le plan de rénovation ne répond pas aux besoins des habitants actuels et n'est qu'un moyen pour les chasser hors de la commune.

Combat inégal, voire illusoire, l'histoire du film n'est pas tant politique qu'avant tout profondément humaine, puissante et poignante. Sous l'impulsion de Haby, les habitants vont se battre avec l'énergie du désespoir, pourtant comment continuer à vivre dans un bâtiment aussi délabré ?

L'ambiance, emprunte d'une sensibilité bouleversante, est parfaitement rendue dès le début du film, non sans une certaine noirceur angoissante, par ce cercueil qui descend cahin-caha les cages d'escalier délabrées du bâtiment et dont les ascenseurs sont en panne depuis des lustres.

Ainsi, un nombre important de protagonistes secondaires jouent admirablement leur personnage attachant en faisant de Bâtiment 5 un film mosaïque très bien mis en scène. A témoin ce père syrien et sa fille qui y débarquent et comprennent vite que ce n'est pas cela la France qu'ils enviaient de rejoindre !

Le scénario est bien orchestré, ne manquant pas de rebondissement et de suspens avec une fin plutôt inattendue, originale et pleine d'émotions, mais d'aucuns la trouveront sans doute irréaliste et presque naïve !

Aux côtés de Pierre Forges et de Haby, deux acteurs principaux interprètent un rôle clé :

- Steve Tientcheu (déjà vu dans les Misérables), jouant avec force et charisme le personnage d'adjoint au maire, ce pilier indispensable issu de l'immigration, mais qui prend un risque considérable à suivre les agissements inconséquents de son nouveau maire;

- Aristote Luyindula, le copain de Haby, prêt à toutes les violences dans le désespoir de son insupportable situation.

Sans doute pas aussi brillant que Les Misérables, Bâtiment 5 est un très bon film à voir, qui ne laisse pas indemne et qui fait se poser cette question : comment en sommes nous arrivés là ?

Même si on sait que c'est une situation vécue parmi tant d'autres, on en sort avec un sentiment de soulagement de ne pas vivre cet enfer, mais aussi portant le poids d'une certaine culpabilité de notre société incapable de résoudre ces problèmes insoutenables du mal logement et de l'intégration des immigrés, loi après loi !

Azur-Uno
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le 26 déc. 2023

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