Comment dire ? Après avoir vu Barry Lyndon et même sans tout savoir de l'oeuvre de Kubrick, je suis presque en mesure de dire que c'est son film le plus abouti esthétiquement, et sans doute le plus subtil dans son propos. Exit les satyres de la guerre, thème pourtant chères à ce brave Stanley ; ici, il se repose presque exclusivement sur son personnage romanesque dans tous les sens du terme. L'Histoire ne sert que de cadre au récit et c'est la vie de Redmond qui est littéralement peinte. Bien qu'au final, Kubrick aborde beaucoup de thèmes. Mais il prend toujours son temps et ne se limite pas qu'à de vagues évocations de l'amour, la guerre...Le travail abattu est phénoménal et ça se ressent à l'écran : chaque moment, aussi fugace soit-il, est disséqué, recherché, sans pour autant perdre sa touche naturelle dans le récit. Le tout, même si le film est relativement long, passe comme une lettre à la poste : la finesse des éléments est palpable et il s'en dégage presque une certaine magie autour de ce film qui le rend tellement unique. En fait, chaque scène comporte une ambiance intrinsèque qui la rend toujours intéressante à regarder, fourmillant de détails audio-visuels aussi fascinants les uns que les autres.

Pour moi, Kubrick joue habilement entre les tableaux si je peux me permettre, alternant les longues scènes quasiment muettes, juste marquées par des rares dialogues presque laconiques avec des phases plus narratives en voix-off. D'où l'idée que Barry puisse être un véritable personnage romanesque : le cadre s'y prête bien, réaliste mais l'histoire reste une fiction. La narration sert à accompagner les images, se taisant à juste titre quand il n'y a rien à dire mais plutôt quelque chose à voir où à écouter. Elle intervient toujours au bon moment, pour offrir quelques informations croustillantes sur l'évolution du récit, surtout quand il arrive au point mort ou à la suite d'une ellipse : l'histoire est dès lors d'une clarté et le spectateur (ou moi en tout cas) est toujours entouré de repères sur le lieu, la date et les personnages présents. Ça paraît bête tel quel, mais je connais un bon nombre de films que je trouve géniaux mais où j'ai dû faire pause pour demander à mon voisin qui est qui, etc. Ici, tout est clair et net, ce qui montre à mes yeux une pure maîtrise du récit. Les dialogues quant à eux sont une pure merveille et d'un raffinement rare, collant parfaitement avec l'environnement : derrière les belles formules éloquentes se cachent des critiques acerbes, et vice-versa, on insulte avec classe quoi. Mais la crème de la crème dans ce film, ce sont quand même les images : chaque scène ou plan est un véritable tableau. En fait Kubrick cherche toujours la petite bête, et sans accumuler des techniques vides de sens, il se focalise plus sur des plans fixes où l'espace est parfaitement géré. J'ai lu beaucoup de critiques et de chroniques où l'on vante la qualité des costumes, moi c'est surtout l'éclairage magnifique qui m'a frappé. L'usage de la bougie est déjà parfaitement inédit (enfin j'ai rien vu de tel pour l'éclairage en tout cas), mais elle apporte surtout une nuance beaucoup plus naturelle et harmonieuse à l'écran. La flamme vacille presque au rythme des émotions des personnages, fragile et éphémère. J'avoue avoir l'esprit quelque peu romantique, mais c'est tout simplement beau.

Mais le plus important pour moi, et c'est ce qui donne un sens au film et aux différentes techniques qui en découle, c'est le personnage de Barry : tout gravite autour de lui en fait. Même si l'histoire est assez classique dans ces grandes lignes - une épopée -, la subtile fatalité de la déchéance de Barry joue et déjoue les codes typiques du happy-end propre à l'épopée d'ailleurs. Mais là ou Kubrick frappe fort, c'est qu'il explore pour moi le personnage de Barry au plus profond de lui-même : du brave garçon, ambitieux, malicieux et empathique, il tourne à la plus vaste crevure, soyons honnête. Qui l'eut cru d'ailleurs ?? Dès lors, le cadre pictural et sonore est en parfaite adéquation avec le personnage : derrière la façade noble et raffinée, Barry reste quand même un paysan irlandais arriviste et prétentieux. Imbu de lui-même malgré les prémices de sa chute, il humilie son beau-fils lors de l'ultime duel (qui faisaient pourtant sa force jusqu'alors), ce qui lui vaudra la défaite finale.

Si l'histoire se divise en deux parties aussi palpitantes, l'intérêt réside surtout dans la leçon de style de Kubrick. Lui a bien compris comment exploiter l'ensemble de sa palette de techniques, au pur service de son personnage, qui tient juste pour rappel le titre. Jamais pressé, il tire toujours le meilleur de sa caméra et de ses acteurs pour un film qui atteint l'excellence narrative et visuelle. Une histoire exceptionnelle pour un film exceptionnel de beauté.
BrookMan
9
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le 15 juin 2013

Modifiée

le 23 juin 2013

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BrookMan

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