Farce à Légumes

Je dois avouer que même en rentrant dans la salle je n'y croyais pas beaucoup en cette nouvelle comédie de Fabrice Éboué. Même si j'aime bien l'humoriste lorsqu' il est en scène j'avais trouvé assez décevantes ses précédentes comédies pour le cinéma (Case Départ - Le Crocodile de Botswanga - Coexister). Autre raison d'être dubitatif, son sketch sur les végans était moyennement drôle et plutôt faible dans son écriture. Je doutais également en la capacité d'une comédie française a réellement bousculer les limites du bon goût mais au final, sans être parfait, Barbaque de Fabrice Éboué rempli assez largement son contrat.

Barbaque nous raconte l'histoire d'un petit couple de bouchers en crise, non seulement sur le plan financier et professionnel mais aussi sentimental. Après le saccage de leur boutique par des végans militants et extrémistes, Vincent tue accidentellement l'un d'entre eux. Avant d'avoir pu se débarrasser du corps, sa femme Sophie va servir par mégarde de cette viande humaine à tes clients qui ne cesseront ensuite d'en redemander tant elle est exceptionnelle. Le couple se lance alors dans le commerce de la viande de végan qu'il chasse comme des serials killers.

Barbaque est une comédie noire, horrifique et sentimentale dont la réussite tient dans l'équilibre précaire mais assez maîtrisé entre la comédie vacharde et excessive qui rentre dans le lard de son sujet et une forme de retenue dans le traitement de son improbable sujet. J'ai beaucoup aimé le traitement très naturaliste et plutôt réaliste que Fabrice Éboué fait de ce couple finalement assez ordinaire dans l'exécution d'un plan qui lui ne l'est pas du tout. Le film évite ainsi de surcharger jusqu'à la caricature et l'absurde un sujet qui porte déjà en lui-même suffisamment d'excès. Les personnages de Vincent et Sophie ainsi que leurs relations sont finalement aussi proche du drame intimiste que de la comédie pure et dure. Marina Foïs est à ce titre assez formidable en femme délaissée, écrasée par le poids du temps qui passe et des dettes qui s'accumulent avant de découvrir dans l'abattage et la commercialisation de viande végane une formidable occasion de sortir la tête de l'eau. La manière tantôt malsaine et insidieuse et parfois plus frontale avec laquelle elle pousse son mari aux crimes et à la fois savoureuse et glaçante notamment dans l'humiliation de sa virilité vacillante. D'ailleurs, si l'humour noir et pince sans rire de ce couple fait des merveilles il n'est pas rare qu'à l'image on est la sensation d'être dans un univers véritablement horrifique et dramatique surtout que l'ensemble est renforcée par une photographie très froide et une bande originale angoissante . C'est dans toute cette retenue que le film trouve sans aucun doute sa plus grande force et la résurrection de ce couple en crise dont les meurtres finissent par trouver une légitimité dans la renaissance de leur bonheur intime et professionnel est très formidablement retranscrite à l'écran. Fabrice Éboué a peut être trouvé ici l'équilibre qui manquait à ses premiers films dont les interprétations forcées rajoutaient encore plus de caricature à la satire jusqu'à totalement perdre en pertinence. Bien sûr on trouve encore quelques personnages bien chargés comme cet industriel suffisant et sa femme qui se vante du prix de toutes choses mais pour ce qui est des deux personnages principaux en tout cas , l'écriture est d'une parfaite mesure.

Et puis Barbaque est surtout un film très drôle et rempli de quelques très bonnes idées de comédie comme ce montage alterné mettant en parallèle des images de documentaires animaliers sur des prédateurs avec les comportements meurtriers de plus en plus détachés et "naturels" du couple. L'autre point fort de Barbaque reste que le film est vraiment bien écrit notamment dans ses dialogues qui sont souvent très percutants et amusants. C'est avec plaisir que l'on notera aussi que Fabrice Éboué ne détourne jamais sa caméra dès qu'il s'agît de montrer frontalement les meurtres de ce couple qui d'artisans bouchers vont devenir des artisans criminels. Le film est également rythmé par la fascination de Sophie, le personnage interprétée par Marina Foïs, pour les sérials killers dont les destins sont racontés à la télévision familiale par Christophe Hondelatte dans des histoires de plus en plus improbables à mesure que le film avance dans sa folle logique interne.

Mais Barbaque est également un film avec du fond et du sens. Bien sûr les moins nuancés et les plus hystériques du véganisme et de la cause animale ne verront peut-être dans le film qu'un appel au meurtre et au cannibalisme mais par l'absurde ils ne serviront que le message que Fabrice Éboué dresse en filigrane de son film. Avec cette cible prétexte Fabrice Éboué semble surtout mettre à la pointe de son couteau vengeur des idéologies toujours plus radicales, toujours plus caricaturales, toujours plus didactiques, toujours plus clivantes et dans lesquels plus aucunes nuances n'ont le droit d'exister. La scène avec le gendre du couple qui avoue être un végan modéré et tolérant tout en tenant des propos de plus en plus radicaux, accusateurs et même absurdes est finalement assez significative de notre époque dans laquelle on pousse le curseur d'idéologies tellement loin qu'elles deviennent des machines absurdes qui tournent tristement à vide et en boucle. Bien sûr Fabrice Éboué se paye avec force le discours le plus extrémiste du véganisme mais il épingle également l'industrialisation, le consumérisme et à travers cet exemple il me semble que c'est bien de la radicalisation d'absolument tous les discours que l'humoriste semble vouloir se venger d'un grand rire sardonique. C'est toujours l'éternelle question de l'offre et de la demande qui pousse à certaines actions et ce sont presque toujours les excès didactiques et le manque de nuances de discours toujours plus manichéens qui poussent à une forme de radicalisation des actes. Ce couple ne tuera toutefois jamais par plaisir, par conviction ni par idéologie mais simplement par opportunisme et nécessité. Par l'absurde Fabrice Éboué se moque de ce discours qui met sur un pied d'égalité un homme et un lapin , une égalité qui pour un carnivore se retrouve ici justement jusque dans l'assiette.

Barbaque est donc de très loin le meilleur film de Fabrice Éboué; c'est drôle, c'est méchant, c'est tenu et c'est loin d'être totalement gratuit. Avec Barbaque la comédie française a pris un bon coup de sang et ça fait du bien.