1935. Aline (Valérie Stroh) est fille d'un ancien officier reconverti en cafetier de village. Ce dernier et sa mère veulent d'elle qu'elle marie un notaire bien placé, mais elle refuse, jeune et rêveuse. Elle chante parfois « Tristesse » de Chopin au piano, devant les clients du bar ou bien seule, et songe au prince charmant...

Entre un jour dans le bar vide Pierre (Jean-Yves Berteloot), revenu de Paris pour aider son frère vendeur sur les marchés. C'est le coup de foudre, ou quelque chose d'approchant. À peine quelques secondes se sont écoulées qu'Aline le demande en mariage... Pierre, n'ayant même pas fini sa bière, bredouille... et dit oui.

Ainsi commence l'histoire de Pierre et Aline, l'amour de toute une vie.

Pour Pierre, une vie de bidouilles, de petits boulots, de rivalité avec André (Jacques Bonnaffé), son plus jeune frère, une vie d'épate avec une succession de voitures et de véhicules tous plus rutilants les uns que les autres.

Pour Aline, une vie de fuite en avant (elle feint d'être enceinte afin de se marier), une vie à remplir démesurément par crainte que son existence ne lui appartienne plus... Leur premier fils, Rémi (de « Rémi Sans-Famille » dit-elle) périra dans un accident, la déchirant.

Bercé par les bonheurs et les malheurs, le film-fleuve de René Ferret, grand amoureux de la famille dans ses films, est un hommage à ses parents (narrant ici l'histoire terrible de sa fratrie notamment). La direction artistique est tenue (le délire des voitures de Pierre, les costumes, les décors : rien n'est à jeter, rien n'est à rajouter). Les acteurs sont « beaux », et d'une justesse qui leur est propre. Il faut voir les yeux scintillants d'Aline et le sourire taciturne de Pierre pour se rendre compte du caractère poignant de ce film. Chaque jour est un renouveau, une conquête dans la petite histoire du quotidien, et chaque jour est aussi l'endroit du drame. Car « Baptême » est un mélodrame, un vrai. On ne cherche pas l'évènement, il tombe, on ne pousse pas l'action, elle se révèle à nous, et quand le bonheur s'installe, ce n'est que pour peu de temps...

Le terme de mélodrame paraîtrait maintenant insignifiant, voire péjoratif, mais ici, l'élégance oscille entre la désuétude charmante et la sincérité émue. À mi-chemin entre le mélodrame sirkien (pour le destin inaltérable) et la chronique « paysanne » – en tout cas humble. Féret réfléchit sur la fragilité d'une vie balayée par la disparition : par le deuil des parents, puis celui du premier enfant, enfin par le départ des autres enfants devenus grands ; d'une vie où point un jour la vieillesse, et puis la mort. Mais toujours cet amour, qui n'est jamais parti durant tout ce temps malgré quelques doutes, quelques errances ; cet amour qui forge, embaume. Qui embellit le tragique, et donne la force de s'en faire un ami, même que l'on n'aime pas. On vit avec, on l'aménage, sans y parvenir tout à fait. La séquence finale est bouleversante, à plus d'un titre.

De bout en bout, on se promène dans un souvenir particulier, ce souvenir que l'on connaît intimement soi-même, qu'on a déjà vécu enfant ou presque, qui s'est déroulé quelque part dans notre famille, on nous l'a raconté.
Ce souvenir qu'on a perdu mais qu'on retrouve là ; ce souffle qui ne fait pas mal. Cette bouffée troublante, qui se situe, pour reprendre Aline quand elle chante Tristesse, entre « l'éternité et l'infini ».

Il faut beaucoup de malheur pour faire un grand bonheur.
aliosha
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le 19 nov. 2011

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