« Ces petits morceaux d’espace visuels, dont la connexion n’est pas donnée d’avance, par quoi voulez vous qu’ils soient connectés? Par la main. Et c’est pas de la théorie, c’est pas de la philosophie, c’est pas, ça se déduit pas comme ça, mais je dis : le type d’espaces de Bresson et la valorisation cinématographique de la main dans l’image sont évidemment liés. Je veux dire le raccordement des petits bouts d’espaces bressonnien, du faite même que ce sont des bouts, des morceaux déconnectés d’espaces, ne peut être qu’un raccordement manuel. D’où l’exhaussions de la main dans tout le cinéma de Bresson, bon, c’est bien, on pourrait continuer longtemps, parce que par là , le bloc d’étendue-mouvement de Bresson recevrait donc, comme caractère propre à ce créateur, le caractère de cet espace qu’est très particulier, le rôle de la main qui en sort tout droit, il n’y a plus que la main qui puisse effectivement opérer des connexions d’une partie à l’autre de l’espace. Et Bresson est sans doute le plus grand cinéaste à avoir réintroduit dans le cinéma les valeurs tactiles, pas simplement parce qu’il sait prendre en image, admirablement, les mains. Mais, s’il sait prendre admirablement les mains en image, c’est qu’il a besoin des mains. » Gilles Deleuze - Qu’est-ce que la création - 1987 (https://www.youtube.com/watch?v=2OyuMJMrCRw J’ai laissé toutes les fautes d’oral de la conférence dans un soucis d’honnêteté)



En plein dans le carrefour des images, cette courte bande annonce déploie la thèse du journal filmé en à peine une minute. Elle est un ramassis en pêle-mêle de mots, qui s’étalent aussi inégalement et intensément qu’un brouhaha audiovisuel de Jonas Mekas. La voix se superpose, se confond, tousse et s’essouffle dans la bibliothèque Photo de l’iPhone. Les images s’enchaînent comme des fragments du réel, des instants selfie et morceaux de vie captés comme des souvenirs.


Le retour de la main du monteur en insert vient alors balayer d’un coup d’index, et monte en direct sous nos yeux.


La bibliothèque photographique du téléphone s’appelle même la « pellicule ». C’est comme un vestige et un sanctuaire d’une époque où la matière ne s’était pas encore dématérialisée : Jean-Luc Godard met le téléphone au coeur de son film. Il est comme un mécanisme de sur-cadrage (d’écran dans un écran) où la réalité est perçu par le microscope macroscopique qui observe le réel : le téléphone portable.


Il y a dans ce geste une douceur qui n’est pas sans rappeler le rapport que l’on a nos images, ce moments où nous parcourons tout ce que nous avons fait les années précédentes. Que nous observons nos taches, nos voyages, notre parcours accompli avec satisfaction. C’est un peu comme partir dans les souvenirs sauf qu’ils apparaissent comme intacts et vivants, car ils sont photographiés.


La date en haut de l’écran arrive alors comme un témoin du réel. Le balayage de la main rend vivant et mouvant ces souvenirs. Et la voix ? Est-ce si grave si elle est déstructurée et dense ? Elle est un amas en conglomérats, une jungle de détails perceptibles comme les photos que nous voyons en cascade.


Tout s’efface et devient matière. Balayage à coup de pouce et coup de montage, suppression du sens pour la matière. Et c’est en mettant la matière au centre que que se déploie tout le langage et la voix. Non pas la voix du photographe, ni celle du cinéaste. Celle du film.


Je ressors de film avec une envie de photographier, de filmer, de documenter ma vie. N’est-ce pas la plus belle invitation à créer ?

ectorlavoisier
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le 7 juil. 2019

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