Il existe deux façons d’appréhender BAC Nord.


Deux.


D’un côté on peut l’aborder comme le film censé occuper la soirée. Ce genre de film qu’on regarde sans « prise de tête » et avec pour seule ambition d’être « diverti. »
Et dans ce cas de figure, oui c’est sûr qu’on peut éventuellement - selon ses goûts cinématographiques - trouver des qualités à ce film.
Quand bien même l’œuvre peine formellement à dépasser les standards du téléfilm, cachant l’essentiel de ses carences de mise-en-scène derrière un bougisme sensationnaliste que je trouve personnellement plutôt grotesque, il n’en reste pas moins qu’on pourrait lui attribuer comme mérite de savoir au minimum assurer le show.
Scènes de guérillas urbaines, tensions exacerbées, retournements de situation, injustices en pagaille, cruauté, émotion, Gilles Lellouche qui crie et François Civil qui pleure…
Oui, on est dès lors en droit d’estimer qu’on en a eu pour son argent ; de considérer que c’était bien sympa comme spectacle, et ensuite d’aller rentrer tranquillement chez soi en se disant qu’on est quand même bien content de ne pas habiter dans les quartiers Nord de Marseille…
On peut…


Et puis d’un autre côté on peut aussi aborder ce film en s’interrogeant un petit peu plus sur la nature du spectacle qu’il nous offre.
Parce qu’autant moi ça m’arrive d’aller voir un film bien bourrin et bien tendu sans trop me poser de questions – comme c’est le cas face à des films comme Hard Boiled ou The Raid pour ne citer qu’eux en guise d’exemple – autant mon esprit s’éveille sitôt sort-on des archétypes habituels du genre.
Or, là, c’est peu dire si – de par son intrigue – BAC Nord m'a tout de suite sorti de cette habitude qu'on peut avoir à se laisser glisser sur les rails de ces archétypes là.


Alors certes, on retrouve bien la structure de base avec le principe du flic qui veut être un peu trop flic par rapport à ce qu'on lui demande et qui se retrouve à devoir faire face à des brigands qui, eux-aussi, s’avèrent être être un brin trop forts et dangereux pour des brigands…
En cela le film respecte ses classiques et mène d’ailleurs sa barque assez conventionnellement. Rien d’étonnant en conséquence à ce qu’un large public puisse se laisser prendre.
C’est vrai que, pour peu qu’on n'y réfléchisse pas trop, on pourrait presque croire que l’objectif du film est essentiellement sensationnaliste et cela dans le seul et unique but de satisfaire son public…
…On pourrait.


Sauf que, le problème, c’est que ce n’est pas le cas.
Si l’intrigue se passe à Marseille ce n’est pas seulement pour surfer sur une iconographie faite de mer, de soleil et de béton.
Si on suit les BACueux ce n’est pas seulement parce que ce sont les services de police les plus exposés à l’adrénaline et à l’action.
Si on représente des quartiers où les voitures de Police sont arrêtées par des gangs qui leur font barrage et démontrent qu’ils ont la mainmise sur le territoire ce n’est pas seulement pour accroître la tension dramaturgique au service des scènes d’action à venir.
…Et si bien évidemment toute intervention de saisie menée par la Police au sein des quartiers Nord ressemble davantage à une scène de Black Hawk Down qu’à une véritable saisie de drogue, ce n’est pas seulement pour servir la théâtralisation de la scène d’action en train de se dérouler…
Clairement : non.
Alors après je ne dis pas que ces choix sont toujours inopérants dans la logique d’un thriller policier, par contre je dis que ces choix ne sont pas seulement dictés par cette logique là.


Parce qu’à un moment donné, on ne peut pas non plus ignorer ce que nous raconte ce film et sur quels ressorts il entend faire reposer toute sa tension.
BAC Nord c’est l’histoire de trois super mecs qui font leur travail de policier avec le sens du devoir chevillé au corps.
D’accord ils sont parfois un peu tendus, un peu maladroits et un peu balourds, mais ça reste vraiment des chics types qui luttent contre le crime au péril quotidien de leur vie.
Ils donnent tout, même pour un scooter volé ou contre un gang de vendeurs de tortues… Et s’ils le font c’est vraiment parce qu’au fond d’eux ils veulent défendre la veuve et l’orphelin…


Seulement voilà, le souci c’est qu’on ne leur donne pas les moyens de vraiment nettoyer les cités à ces BACueux.
Assez régulièrement ils sont bien contraints d’accepter des toutpetitpetitpetits bakchichs pour se mettre des indics dans la poche, voire parfois de dealer un peu avec eux…
…Mais bon, c’est jamais pour s’en mettre dans les poches hein ! Parfois on se tape bien une clope ou un joint sur les prises mais jamais – au grand jamais ! – ils n’oseraient passer de l’autre côté !
Et c’est à partir de cette base-là que l’intrigue s’emballe…


Le souci c’est que la hiérarchie de nos trois braves hommes leur réclame de faire un grand coup mais toujours sans leur offrir les moyens nécessaires.
Du coup on les autorise – mais vraiment exceptionnellement hein ! – à racketter des dealers pour mieux soudoyer leurs indics et obtenir d’encore meilleures informations.
Ils acceptent. Ils réussissent leur mission. Et grâce à ça les forces de la coalition parviennent à reprendre provisoirement Mossoul aux méchants trafiquants.


Mais – patatra – voilà que l’IGPN – la police des polices – leur tombe dessus !
Ils auraient entendu dire que nos trois héros s’étaient permis de racketter des dealers.
Du coup, ces flics de l’IGPN – ces pauvres types qui ne connaissent rien à la réalité du terrain mais qui veulent faire tomber d’autres flics pour gonfler leurs statistiques – décident de s’en prendre injustement à nos héros.
La hiérarchie les lâche. Les collègues aussi (car visiblement l’IGPN c’est l’inquisition qui brûle d'abord et enquête ensuite voyez-vous). Ainsi l'omertha s'installe et les justes partent moisir en prison.


Abandonnés, nos trois flics vertueux voient dès lors leur équilibre mental être broyés dans dans les geôles de Guantanamo.
Au final, livrés à eux-mêmes, nos héros n'ont plus le choix. L'un d'eux est contraint de balancer une de ses adorables sources dans le seul et unique but de se sauver lui ainsi que ses copains.
Ainsi nos trois BACueux sortent-ils détruits, dégoutés, défroqués. Et on ne manque pas de finir le film là-dessus.
La France a des super flics qui sont nos derniers remparts contre la barbarie mais dans ce pays on passe son temps à les broyer.
That’s All Folks.
FIN.



Alors il faut savoir que ce film a été diffusé au Festival de Cannes – comme si ce long-métrage pouvait prétendre à une quelconque ambition cinématographique – et que ce fut lors de la conférence de presse qu’un journaliste irlandais de l’AFP a commencé le premier à mettre des mots sur le malaise qu'on est en droit d'avoir après une pareille séance.



Il y a juste une chose qui me dérange un peu. On est dans une année d’élection et moi j’ai vu ça de l’œil d’un étranger et je me suis dis : « Ah oui ! …Mais peut-être que je vais voter Le Pen après ça quoi… »



Alors certes, la formulation est sûrement maladroite car réductrice, mais elle a le mérite de signifier une idée prégnante : difficile de ne pas voir un parti-pris assez manifeste dans ce film, et un parti-pris qui n'a vraiment rien d'anodin et d'innocent d'un point de vue politique.


Forcément, je me doute bien qu'en affirmant cela, on pourrait me rétorquer en retour (et non sans impertinence) que je ne fais que m’indigner de ce parti-pris-ci uniquement parce qu'il ne me convient pas et qu'on m'avait beaucoup moins entendu face au parti-pris adopté par le récent Les Misérables de Ladj Ly.
Sauf que le souci, dans le cas présent, c'est qu'on a affaire à une vision de la réalité qui occulte bien plus d'éléments, ce qui est tout de même très délicat quand on sait que le film s'inspire ouvertement de faits réels.


Parce que oui, pour celles et ceux qui l’ignoreraient, BAC Nord s’inspire bien d'une affaire judiciaire qui s'est réellement déroulée en 2012.
Dans cette affaire, il n’était pas seulement question de trois agents mais de dix-huit. C’était d'ailleurs tout un système qui était visé : des pratiques de rackets, de bakchichs et de connivences qui s’étaient mises à gangréner tout un service et face auxquelles le pouvoir de l’époque avait laissé faire.
Pendant des années, entre BACueux et politiques on se donnait le change : les premiers sortaient des affaires régulièrement pendant que de l’autre les responsables locaux regardaient ailleurs sur les trafics au sein de la BAC.
Un coup de filet mal préparé a lieu en 2012.
Et si l’affaire est toujours en cours d’instruction et que depuis des agents ont été blanchis, d’autres ont bien été radiés pour faute avérée.
…Donc bon, entre la réalité de la BAC Nord et la fiction, il y a quand même un monde. Et nous réduire tout ça à une histoire de trois flics chic-types que la hiérarchie a lâché alors qu’ils se contentaient juste de faire leur boulot avec les moyens du bord, je trouve que c’est quand même pas mal réécrire l’histoire.
(…Et oui, c’est un euphémisme.)


BAC Nord n’a donc rien d’un film à grand spectacle innocent.
BAC Nord est bien un film qui prend position sur un fait d'actualité ; et une position qui repose donc clairement sur une logique d'altération des faits.
Or ce genre de procédé n'est pas nouveau. Quiconque a déjà perdu son temps sur TMC, CNews ou C8 qu'il connait déjà la musique par cœur.
Le bon vieux refrain de la barbarie à nos portes que seule la vertueuse police parvient à contenir malgré ces odieux freins que sont le droit et la justice.
L'habituel recours à l'effroi et la surenchère qui en vient à exaspérer même des types comme moi qui, pourtant, ne sont pas des adeptes de la politique de l'autruche.
La même insulte à l'intelligence, mais ce coup-ci filmée avec davantage de moyens et des acteurs plus convaincants.
Du C8 de luxe en fin de compte, au service du même message et des mêmes intérêts.
En d’autres termes, de la banale propagande en somme.
…Et en plus de ça de la propagande assez crasse.
…Or chez moi, la propagande crasse j'avoue que ce n'est pas le genre qui m'exalte le plus. C'est même tout le contraire.


Parce que sitôt prend-on conscience du procédé qu'il est tout de même difficile de se plonger dans l'intrigue et d'accepter la grossièreté formelle.
Tout ce qui est mis en place dans ce film ne l'est qu'au service univoque de cette unique idée : il y a d'un côté les héros et de l'autre côté les barbares.
Ainsi quand on apprend que Yass attend un enfant, on se doute que ce n'est mis là que pour qu'on soit pris d'un sentiment d'empathie et d'injustice à son égard quand des soucis s'abattront sur lui.
Même chose quand on sent une amourette naître entre Antoine et son indic. Et encore même chose quand on voit Greg prendre son affaire tant à cœur...
La démarche est tellement flagrante qu'il devient des lors compliqué d'y voir autre chose qu'un enchainement grossier d'artifices au service d'un discours martelant son idée bas-du-front.
...En d'autres mots, difficile de ne pas vivre ce film comme un vaste enfumage intellectuel.
...Difficile de ne pas se sentir pris pour un con pendant 107 minutes.
...Ne manquerait presque que la voix de Carole Rousseau.


Mais bon, rien d’étonnant au fond venant d’un film produit par StudioCanal.
Depuis que le Groupe Canal a été racheté par le milliardaire Vincent Bolloré, ce dernier ne cache nullement ses intentions en termes d’utilisation des médias à des fins de manipulation des masses.
De C8 à CNews, pas besoin de s’attarder bien longtemps pour comprendre quelle est la ligne éditoriale proposée.
Et d’ailleurs, pour moi qui suis tombé par hasard il y a deux semaines sur l’émission Enquête sous haute tension, j’avoue avoir vu sans peine les liens de filiation qui pouvaient unir d’un côté ces reportages sensationnalistes à la réalisation racoleuse et de l’autre le bougisme peu inspiré du piètre Jimenez.


Dès lors une question s’impose.
Certes il existe deux manières d’aborder ce film et les deux sont légitimes, mais est-ce qu'il est vraiment possible / souhaitable / envisageable de chercher à tirer profit et plaisir d'un film qui travaille en permanence à nous manipuler à travers une opération de falsification du réel aussi outrancière ?


En tout cas, me concernant, mon approche à l’égard de ce film a été vite tranchée.
Non seulement BAC Nord est formellement assez balourd mais en plus son imposture intellectuelle manifeste - à condition de la voir bien sûr - ne peut qu'éventer tous ses effets.
Alors du coup, non : difficile dans de telles conditions d'aller reconnaitre une quelconque qualité à ce long-métrage, surtout quand ces dernières sont aussi relatives.


Parce que oui, je pense sincèrement qu'on pourra relativiser un casting qu'on dit pourtant de premier choix quand la moitié des acteurs parlent un accent marseillais qui est soit incompréhensible (Kenza Fortas) soit surjoué au possible (Cyril Lecomte) et quand l'autre moitié passe son temps à jouer les caricatures de gros bras qui hurlent pour un rien (Gilles Lellouche : César du meilleur dobermann 2021...)


...De la même manière qu'on pourra tout autant relativiser le tension générée par l'action.
Certes la grosse scène centrale présente le mérite de débarquer après un bon travail d'amorce, mais dans son déroulement intrinsèque elle se contente simplement d'entretenir la tension avec beaucoup de bougisme et de cris.
Et si je comprends qu'on peut s'en satisfaire pour peu qu'on accepte de se laisser prendre par l'élan régressif de ce film, pour des gens comme moi qui avaient besoin d'un petit peu d'épaisseur formelle pour se laisser séduire, ça fait quand-même assez chiche, pour ne pas dire franchement putassier.


...Et puis - enfin et surtout - cette émotion qu'est censée susciter les mésaventures de nos trois héros, elle aussi on pourra clairement la relativiser.
Parce qu'un François Civil qui pleure et un Gilles Lellouche qui tape sur les murs, ça a tout de même quelque-chose d'assez ridicule sitôt considère-t-on la grossièreté finale avec laquelle le film essaye sur sa conclusion - à grands coups de Manuel Valls s'il vous plait - de nous marteler sa morale politique au pilon.


Me concernant donc, face à BAC Nord, impossible de me départir de cette vision là...
…Et quelque-soit le bout par lequel j'ai pris ce film, j'ai toujours fini par retomber sur cette même conclusion.
…Impossible pour moi de l'appréhender autrement que comme une supercherie ; un piège à cons ; un énième épisode à peine mieux réalisé qu’une Enquête sous haute tension diffusée sur Télé-Bolloré.


Mais bon, après, c’est à chacun son approche.
Car je le rappelle : il existe deux façons d’appréhender BAC Nord.


Deux.


Alors maintenant à vous de voir…

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le 18 août 2021

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