Avec un casting trois étoiles composé de Kirk Douglas, Burt Lancaster et Laurence Olivier, un scénario adapté d'une pièce de théâtre du grand George Bernard Shaw, et un réalisateur, Guy Hamilton, formé auprès de Carol Reed et John Huston, Au Fil de l'épée réunit, sur le papier, tous les ingrédients pour constituer un chef-d'œuvre. Ce n'est pas le cas. Bien que non dénué de qualités, cette adaptation fidèle de la pièce du dramaturge irlandais souffre d'un défaut majeur : son manque d'ambition.


L'histoire est celle de Richard Dudgeon (Kirk Douglas), brebis galeuse de sa famille qui, rentrant chez lui un jour, apprend que son père vient d'être pendu à Springtown par les Anglais. La raison ? "Rébellion". Nous sommes dans les années 1770, en Nouvelle-Angleterre, à l'époque où la révolte des colons contre les Redcoats est sur le point de se transformer en révolution. Le pasteur local, Anthony Anderson (Burt Lancaster), est lui aussi arrivé trop tard pour empêcher la pendaison de son ouaille, orchestrée par le rigoriste major Swindon (Harry Andrews) avec l'assentiment du très maniéré général Burgoyne (Laurence Olivier), surnommé Gentlemanly Johnny.


Richard, l'autoproclamé "disciple du Diable" (qui donne son titre original The Devil's Disciple à la pièce et au film), récupère au cours de la nuit le corps de son père, et l'enterre dans le cimetière paroissial de Websterbridge avec l'aide du pasteur. Les Anglais, passant par là quelques temps plus tard, ne manqueront pas de remarquer que le corps dérobé sur leur potence repose ici... Entraînant ainsi l'ordre d'arrêter le révérend Anderson, à son tour accusé de rébellion. Sauf qu'au moment de l'arrestation, c'est Richard Dudgeon qui se trouve chez l'ecclésiastique, en compagnie de sa charmante épouse Judith (Janette Scott).


Moins diabolique qu'il ne s'en donne l'air, Dudgeon ne révèlera pas le quiproquo, et se laissera emmener par la troupe anglaise pour être pendu, sauvant ainsi le mari de la belle éplorée. Il aura droit à un ersatz de procès - la meilleure scène du film - marqué par ses échanges pleins d'une politesse et d'un humour so British avec le général Burgoyne sur pourquoi il sied mieux à un gentilhomme d'être pendu plutôt que fusillé ! À la fin pourtant, la révolte tournant à la révolution, un concours de circonstances permet à Anderson de sauver in extremis Dudgeon de la corde, un revirement de situation admis avec flegme et élégance par l'officier britannique.


En 1 h 22, on n'a guère le temps de s'ennuyer tant l'histoire évolue de façon rapide et, le plus souvent, inattendue, alternant avec finesse entre événements dramatiques et situations humoristiques. Les acteurs sont globalement très bons : Kirk Douglas cabotine comme à son habitude, Laurence Olivier régale en gradé de Sa Majesté soucieux de justifier sa réputation de gentleman, et l'excellent Harry Andrews, déjà vu dans Moby Dick, donne un aperçu de la composition magistrale qu'il livrera six ans plus tard dans le chef-d'œuvre La Colline des hommes perdus. En revanche Burt Lancaster, également producteur du film, est un peu pâle dans son rôle de pasteur, et sa transformation en insurgé à la fin n'est pas du tout crédible.


Mais ce qui manque avant tout au film, c'est donc son manque d'ambition. La réalisation est vraiment quelconque et ne parvient pas donner à l'histoire la dimension qu'elle mérite. Les trois ou quatre interludes de pseudo-dessin animé (des figurines en bois se déplacent sur des plateaux peints afin de nous informer de la réalité stratégique du conflit) sont franchement inutiles, et viennent gâcher l'ensemble. Il y avait vraiment de quoi produire, sinon un chef-d'œuvre, du moins un film marquant, mais au final Au Fil de l'épée est juste une vieille bobine sympa tombée dans l'oubli. C'est sans doute pour ça qu'on est les premiers à en parler ici. Dommage...

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le 29 sept. 2016

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The Maz

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