I have seen so much (sic) eruptions in 23 years that… heu… even if I die tomorrow, I don’t care.



(Maurice Krafft, trop près du mont Unzen au Japon, en juin 1991, peu de temps avant une coulée pyroclastique fatale)


Werner Herzog est un cinéaste qui a toujours kiffé se mettre en danger, par ses tournages dantesques, par ses nombreuses collaborations avec Klaus Kinski (il a même été son colocataire… euh, je crois qu’à la place d'Herzog, j’aurais préféré être SDF, c’est dire !) et dont une des grandes thématiques est le danger. Donc, le fait qu’il aborde un jour le couple de volcanologues alsaciens, Maurice et Katia Krafft, dans un de ses films, ne semble que logique. Les “fous” ne peuvent qu’appeler les “fous”.


En effet, le mari et l’épouse, furieusement animés par leur passion, ne reculaient devant absolument aucun risque. C’étaient de véritables têtes brûlées. Le nombre de fois où ils ont échappé de peu à la mort est ahurissant. Ce que ne manque pas de souligner Herzog, notamment à travers un épisode, en 1983, quand ils pénètrent sur l’île indonésienne désertée d’Una-Una (après une éruption du Colo et peu de temps avant une autre !), la quittant lorsque la menace se fait entendre, sans se presser le moins du monde, alors qu’une explosion s’apprête à détruire toute trace de vie sur ce morceau de terre (oui, l’être humain, dans toute sa bêtise, essaye, depuis des siècles et des siècles, de dominer une force qui peut nous anéantir, quand elle le veut, en une fraction de seconde !). Oui, qui parle de danger, parle de mort. Pas étonnant qu’ils aient été surnommés les “volcano devils”.


Je sais que c’est facile de dire cela avec le recul, que la Grande Faucheuse se plaît à être souvent incohérente, mais leur mort, le 3 juin 1991, lors d’une coulée pyroclastique sur les pentes du mont Unzen, semble couler de source. Ils ne pouvaient pas décéder séparément de vieillesse dans leur lit, tellement ils étaient possédés. Pourtant, il suffisait de peu de choses. Par exemple, si Maurice avait écouté Katia qui pressentait le danger et qui aurait préféré aller voir une éruption aux Philippines, ils auraient échappé à cette mort coulant de source. Il suffit de peu de choses quelquefois. C’est sûrement pour cette raison qu’Herzog se concentre avec insistance sur les derniers jours des Krafft au Japon. C’est sûrement pour cette même raison qu’il prend quelques minutes pour évoquer la figure du volcanologue américain Harry Glicken. Celui-ci avait gagné onze ans de vie supplémentaires en se faisant remplacer après avoir passé dix jours d’affilée dans un poste d’observation, près du mont Saint Helens, pour aller à un entretien à son université. C’était la veille de la fameuse éruption du 18 mai 1980. Il est mort le 3 juin 1991, avec les Krafft et quarante autres personnes.


Et à travers des images ahurissantes (sublimées par une BO composée principalement d’extraits d’opéra, renforçant l’impression de requiem, de fin de monde !) de murs ou de torrents de lave (devant lesquels Maurice et Katia se promènent comme si c’étaient des rivières ou des chutes d’eau), d’une beauté aussi fascinante que terrifiante et tétanisante, des paysages désolés, des villes détruites (donnant lieu à des moments insoutenables !), Herzog souligne qu’ils étaient aussi des artistes, des véritables réalisateurs, qui ont su mettre en scène leur existence et leur passion. Oui, la très grande majorité des images de ce documentaire ont été prises par les Krafft. Le réalisateur fait surtout ici office de monteur et de narrateur, tout en étant personnel puisque, comme mis en avant précédemment, lui et les Krafft ont en commun les thématiques du danger et de la mort.


Et oui, l’ensemble se concentre sur le danger, la mort, l'art. Comme justification de ne pas se consacrer à d’autres sujets comme le souci qu’ont eu les deux scientifiques de partager leurs connaissances avec le grand public, celui de sauver les populations locales en prévenant les autorités (ce qui pourrait faire penser, à travers la vision de ce documentaire, qu’ils ont filmé les conséquences de l’horrible éruption du Nevado del Ruiz en 1985 avec indifférence et insensibilité ; ce qui n’était pas le cas !), Werner Herzog avance un argument valable qui est que de nombreux documentaires “classiques”, sur les plans de la narration et du contenu, ont été consacrés aux Krafft. Oui, bon, il a réussi à réaliser ce qu’il voulait, à savoir un requiem (comme le titre l'indique !) sur deux figures, bigger than life, à jamais inséparables, aussi charismatiques que passionnantes.

Plume231
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le 12 oct. 2022

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