Attaque !
7.4
Attaque !

Film de Robert Aldrich (1956)

Attaque !, en plus d’être l’un de mes films de guerre préférés, il est ce que je considère comme du cinéma dans sa forme la plus pure.

Un film minimaliste, qui ne joue pas la carte du grand spectacle, dont pourtant Aldrich est un adepte, mais qui vient cloîtrer ses personnages en huis-clos durant une grande partie de la diégèse, pour faire le tableau réaliste de la guerre, avec une absence de manichéisme totale. Difficile de ne pas évoquer Les Sentiers de la gloire de Kubrick, qui sort un an plus tard sur les écrans, et qui s’intéresse à l’impact des hauts dirigeants sur la guerre.

Le côté minimaliste fait la force du film, mais il aurait pu en être autrement. Le département de la Défense américaine a catégoriquement refusé de coopérer avec la production du film. Ils n’ont donc pas loué de chars, d’uniformes et de troupes à la bonne réussite du film. C’est la mise en scène d’Aldrich qui vient avec brio, s’approprier les limites du budget pour en faire une force.

Depuis 1934 et le Code Hays, les réalisateurs américains ont toujours flirté avec les interdits de l’époque, les contraintes se contournent, et Aldrich a bien compris que le budget restreint ne doit pas impacter le film. Les limites du budget deviennent prétexte à faire le portrait psychanalytique des travers humains dans des décors serrés, rappelant Bergman à certains instants.

La forme, elle, plutôt figé, vient capter les acteurs, comme au théâtre, et le jeu outrancier des acteurs, flirtant avec la caricature, renforce le côté psychanalyste de l’œuvre, avec ses analyses non-manichéennes maîtrisées, montrant à la fois les bons côtés, comme les mauvais. L’accent est surtout mis sur le pire, pour justement assister sur le nihilisme exacerbé du film, mis à l’œuvre pour le plaidoyer antimilitariste du réalisateur. Robert Aldrich a l’habitude d’analyser l’humain, d’en faire le portrait, impossible de ne pas citer ses films noirs Qu’est-il arrivé à Baby Jane et Hush Hush Sweet Charlotte, où il utilise les mêmes procédés de mise en scène qu’ici, en théâtralisant chaque aspect.

Chaque personnages se confronte dans de véritables batailles psychologiques, où chacun défend sa personnalité indéfendable, mais sans jugement de valeur et de moralisation de la part du metteur en scène. La théâtralisation des personnages et de l’espace emprunte à l’expressionnisme allemand, notamment avec des plans alambiqués, volontairement instables, et également par l’utilisation des lumières qui vient dessiner à elle-même les différentes oppositions d’âmes entre les personnages. La fin, et la descente des escaliers de Jack Palance, mourant, rappelle directement le cinéma d’horreur, telle une marche vers l’enfer, renvoyant évidemment aux films d’horreur de Murnau.

Comme dit plus haut, les acteurs jouent de manière très expressive, pratiquement comme au temps du muet, pour justement arriver à ce que j’appelle la quintessence émotionnelle. Une quintessence orchestrée par une absence de manichéisme. Chaque personnage est humain, avec des qualités et des défauts, tous, ont le physique des idées des personnages qu’ils incarnent.

Jack Palance n’a sans doute pas le charisme et la justesse d’acting de Cary Grant ou même de Glenn Ford, deux monuments de cette époque, mais il arrive à insuffler une dimension touchante au personnage qu’il interprète : le lieutenant Costa, par sa sincérité de jeu et par son envie de bien faire, et même si la sincérité n’est pas l’égale de la justesse, il arrive à donner une certaine épaisseur à ce personnage.

Les deux forment d’antagoniste qui se confrontent au lieutenant Costa sont le Capitaine Erskine, et le lieutenant Colonel Bartlett, incarnation d’une entité plus grande.

Le capitaine Erskine, lui, interprété par Eddie Albert, est un lâche. Selon lui, sa propre vie a plus d’importance que celles de milliers d’hommes. Sa peur le pousse à faire les choix qui l’éloignent le plus du champ de bataille, tant qu’à envoyer des hommes mourir à sa place.

En agissant ainsi, il est une menace, et le lieutenant Costa, bien qu’ils veuillent l’arrêter pour l’empêcher d’être à la cause de la perte de ses camarades, n’hésite pas à recourir à la violence.

Pour la petite anecdote, Eddie Albert a servi pendant la Seconde Guerre Mondiale et était un héros de guerre. Il a secouru plus de 70 Marines blessés lors du débarquement américain en 1943, en les chargeant sur des péniches. Il a reçu une médaille d’honneur pour ses exploit. Le personnage qu’il incarne dans Attaque ! est dans l’opposé de l’homme qu’il était lors de cette guerre mondiale.

Bien que le personnage incarné par Jack Palance soit le héros au sein du film, il n’est pas moral. Son humanité prime sur son encadrement sociétal, et son caractère impulsif vient donc créer la nuance, pour faire de cet héro un antihéros. Il est l’archétype du héros selon Aldrich.

Lee Marvin s’en sort très bien comme à son habitude, en interprétant le Lieutenant Colonel Bartlett, personnage qui fait primer le pouvoir sur tout, il est la personnification d’un système corrompu, et est au courant des agissements du capitaine Erskine. Seulement, il ne veut ni l’expulser, ni que quiconque soit au courant de la lâcheté du capitaine, cela rendrait sa position de Lieutenant Colonel inconfortable. Le Lieutenant Colonel pense aux intérêts du système. Il est aliéné, une fonction avant d’être un être humain.

La psychologie du trio est nuancée, et par sa nuance vient faire la critique de la guerre et de tous ses aspects. C’est du cinéma, les procédés narratifs sont assez grandiloquents, mais tout y est, des scènes faisant écho à un classicisme Fordien, jusqu’à des explosions de violence froide, qui surprennent et viennent s’immiscer d’une manière inattendue dans un ensemble d’une simplicité renversante.

D’ailleurs par ses éclats de violence et par son nihilisme, le film me rappelle la guerre selon Sam Peckinpah, avec Croix de fer notamment. La scène d’introduction est véritablement parlante, et illustre en quelques minutes, ce que sera le film dans sa globalité : une première attaque est décimée. Le ton est donné.

A la fin, une once d’espoir semble se trouver au fin fond du tunnel. C’est la seule lueur de tout le film, et bien qu’elle existe, elle est entourée par une noirceur omniprésente.

Créée

le 29 nov. 2023

Critique lue 32 fois

Paul SAHAKIAN

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