L’article que vous allez lire se structure en trois parties : un récit à la troisième personne du ressenti après visionnage du long-métrage, la critique du film et une mise en abyme des sentiments post-écriture de la critique.


VISION(S)

Après avoir revu quelques films du cinéaste texan, le jeune critique est fin prêt pour visionner sa dernière œuvre. En sortant de la salle, il se rend compte qu’il ne l’était pas tellement. Ce film l’a laissé dans un état de confusion mêlé à une admiration grandissante. Quelque chose semble lui échapper, qui n’est ni la maîtrise esthétique du cinéaste ni la fine écriture des personnages qui l’a réellement bouleversé. C’est davantage dans les interstices d’Asteroid City qu’il a cru voir une force bien plus grande. Ce secret, il veut le percer. Les éléments se multiplient, se télescopent, se rencontrent sans jamais véritablement s’assembler. Qu’est-ce qui peut bien relier une pièce de théâtre, des aliens et le deuil d’une famille ?


CONTACT

Le cinéma de Wes Anderson a évolué depuis les prémisses comiques et absurdes de Bottle Rocket, la profonde mélancolie de Rushmore et la radicalisation visuelle de La Famille Tenenbaum. L’art andersonien a parfois montré ses limites malgré un talent plastique non négligeable comme avec À Bord du Darjelling Limited. Puis, arrivant au summum de son style par ses films d’animation, Fantastic Mr Fox et L’Ile aux Chiens, autant que ceux en prises de vues réelles tel Moonrise Kingdom ou The Grand Budapest Hotel. Nombreux perçoivent une ostracisation du cinéma d’Anderson, dont The French Dispatch a été l’acte terminal. Son cinéma de la mise en boîte et des maquettes pousse sa mise en abyme à un point où les personnages perdent leurs matérialités pour un flux d’images stylisé.


En réalité, il faut se plonger dans son univers pour en ouvrir l’énigme et découvrir les émotions cachées. Avec The French Dispatch, un film souvent sous-estimé, l’amour est au cœur de chacune des histoires. L’amour dans l’art, la lutte politique ou dans les plus infimes détails, l’émotion est finalement partout mais s’y fait plus discrète. D’autant plus puissante une fois révélée, Asteroid City agit de manière semblable par une multitude de sentiments. Dans un même geste, il pousse son style préfabriqué dans des fulgurances émotionnelles « hors de la boîte », brisant la machine esthétique bien huilée. Double renversé de The French Dispatch, ce film se complexifie tout en allant à l’essentiel. Comme l’annonce le présentateur TV joué par Bryan Cranston, ce que nous regardons n’est pas réel. Nous sommes dans une fiction où subsiste pourtant un élément bien véridique : les émotions.


À l’image de la scène musicale en plein milieu du cours qu’essaye de faire June (Maya Hawke), Asteroid City s’autorise des digressions et des moments de pause. De cette façon, Anderson fait grincer la mécanique, la dynamitant de l’intérieur pour en faire percevoir ses contours mélancoliques. Déjà, dans son précédent film, des moments en noir et blanc viennent faire surgir la tragédie intime dans le grand spectacle : l’histoire du soldat (sous forme de pièce de théâtre) relatant son suicide ainsi qu’un moment de pure abstraction où Roebuck Wright livre sa profonde solitude sur un plateau TV.


Ici, en sortant de la fiction pour une autre, Augie Steenbeck redevient Jones Hall ne comprenant pas la pièce qu’il joue. Alors que le rythme est effréné, le temps s’arrête hors des coulisses sur le balcon extérieur, tombant face à face avec l’actrice qui devait jouer sa femme. Ne restant plus qu’une photographie d’elle dans la pièce, le personnage et l’acteur se confondent, le père en deuil finit par réapparaître.


Le mantra final « You can’t wake up if you don’t fall asleep » fait exploser les différents régimes de fictions. Wes Anderson revient à la pièce de théâtre dans un dernier mouvement ou la vie a repris son cours. En cela, le long-métrage fonctionne par détails au sein des formes : le cercle du cratère qu’on retrouve dans le mouvement de caméra circulaire final, les fenêtres rectangulaires d’où naît l’amour entre Midge et Augie, l’outil du garagiste associé visuellement à la météorite que prend l’alien, …


Asteroid City forme un jeu de correspondance visuelle pour faire rencontrer l’infiniment petit de l’intime avec l’infiniment grand de la création artistique. Le deuil, central pour la famille Steinbeck, se retrouve entre le micro et le macro, entre les cendres enterrées de la mère et l’apparition (et disparition) d’une soucoupe volante dans le ciel. Avec recul, Anderson s’éloigne de la posture pour détailler son propre style, autant visuel (la récurrence des motifs) que narratif (le récit et ses mises en abyme questionnant la notion de créateur).


S’il apparaît moins important de noter la vision fantasmée d’une Amérique sous guerre froide, c’est qu’il a toujours conçu ses films comme des pastiches (l’Inde dans Darjeeling Limited, la France de The French Dispatch ou encore le Japon de L’Iles aux Chiens). Ce cadre lui permet d’explorer une nouvelle fois ses obsessions artistiques, du théâtre à l’animation, pour en extraire la profonde mélancolie andersonienne qui sied si bien à ses personnages.


RETOUR

Marquant un dernier point à la fin de la ligne, le critique se demande s’il a réussi à retranscrire son ressenti personnel sur un film qui, en tout point, le dépasse par sa complexité. Ébloui par l’esthétique du long-métrage, a-t-il été obnubilé au point de donner du sens à une œuvre qui n’en a pas tant que ça ? A-t-il mis de côté les défauts du projet pour n’en garder que les qualités, réellement compris cette œuvre qui en a laissé plus d’un déçu ? Lui-même n’en est pas sûr. Mais au fond, tout cela n’a pas besoin d’avoir du sens pour qu’il en forme un pour lui-même, et il espère, pour d’autres …

_________________________________________________________________________________________________


Écrivant cette dernière ligne, le narrateur est confus. Il n’a pas bien compris où veut en venir cette mise en abyme confuse singeant le style du cinéaste en question. Marionnette du critique, il prend conscience de son inconséquence, son immatérialité et sa non-existence. Pourtant, il avait vécu un instant entre ses lignes, donnant sens à une vision unique. Peut-être pas si originale, ouverte à la remise en question d’une œuvre qu’il a l’impression d’avoir effleuré.


Article à retrouver sur On se fait un ciné ?

Créée

le 3 août 2023

Critique lue 19 fois

1 j'aime

Jolan F.

Écrit par

Critique lue 19 fois

1

D'autres avis sur Asteroid City

Asteroid City
Moizi
8

Le temps suspendu

Je me range dans le camp des gens ayant aimé cet Asteroid City, si j'ai longtemps eu du mal à apprécier son cinéma, j'ai fini par vraiment tomber amoureux du style de Wes Anderson. Visuellement on...

le 14 juil. 2023

84 j'aime

1

Asteroid City
lhomme-grenouille
4

Qui a dit : « au dixième, j'arrête » ? (Spoiler : pas Wes Anderson.)

Et de onze pour Wes Anderson. Moins de deux ans après son French Dispatch, le revoilà déjà sur les grands écrans, et avec lui cet étrange sentiment qui commence à gagner de plus en plus de ses...

le 23 juin 2023

67 j'aime

17

Asteroid City
Plume231
4

Le Théâtre du désert !

Je ne le dirai jamais assez, au-delà de son style visuel reconnaissable entre dix milliards, Wes Anderson a une maîtrise technique qui suscite à chaque fois mon admiration. Et ce qui la suscite...

le 20 juin 2023

66 j'aime

19

Du même critique

Sinner Get Ready
JolanFayol
9

Après l'Apocalypse

Lancer Sinner Get Ready fait autant frémir d’impatience que l’on craint de l’écouter à cause de son titre annonciateur (“pêcheurs préparez-vous”). Nous, les pêcheurs, plongeons alors dans le sombre...

le 9 août 2021

20 j'aime

4

Drive
JolanFayol
9

" My hands are a little dirty... So are mine. "

There's a hundred-thousand streets in this city. You don't need to know the route. You give me a time and a place, I give you a five minute window. Anything happens in that five minutes and I'm...

le 27 déc. 2015

18 j'aime

2

Scott Pilgrim
JolanFayol
8

Retro Love

Quand le monde du jeu vidéo et des films se rencontre, cela ne fait pas souvent bon ménage, comme le prouve une bonne flopée de très mauvais film adapté de jeux vidéo (Mario Bros, Alone in The Dark,...

le 26 mars 2016

15 j'aime

1