La réussite de ce film vient sûrement du fait que Laurent Cantet, en fidèle observateur des mouvements de la société française et de sa jeunesse, notamment celle des "quartiers", dépasse son sujet premier (la violence des réseaux sociaux, leur perversité, le jeu morbide dont ils font des utilisateurs les outils principaux, sujet qui, mal traité, aurait pu virer au pire) pour viser plus large et se faire témoin et porteur d'une parole essentielle.


Dans son action resserrée sur quelques jours, Arthur Rambo, le film comme son personnage Karim D., quitte son décor premier, le Paris mondain des écrivains, des maisons d'édition et des médias, pour se concentrer sur l'intime, et parler paradoxalement mieux de la société française. En quittant la bulle médiatique et en se déconnectant d'internet et de son déferlement de haine (joli dispositif de mise en scène qui noie le spectateur dans des phrases cruelles, imposées en plein écran), Karim va retrouver les siens, sa famille, son quartier, sa chambre, ceux qui l'admirent et ceux qu'il admire.
On saluera ici le très beau rôle d'Anne Alvaro, furtif mais essentiel, personnage qu'on devine être la professeure qui donna le goût de la littérature à Karim et l'accompagna dans les débuts de sa carrière, et qui par sa simple mais discrète présence donne une évidente solution aux problèmes soulevés par le sujet - et l'on sait l'importance que porte Cantet à ces figures tutélaires de professeurs, l'éducation de la jeunesse restant le motif récurrent de sa filmographie autant que son mantra politique.


Notre héros, dans ce qu'on comprend être finalement un film initiatique touchant, va ainsi mieux cerner le bouillonnement qui agite une jeunesse perdue et explicitement en quête de repères. Le film aborde ainsi de nombreux et abyssaux sujets, traitant autant de lutte des classes par son personnage de transfuge que d'immigration, de terrorisme islamiste autant que de l'extrême droite charognarde (qui se repait des cadavres encore fumants et récupère tout ce qui peut alimenter son feu immonde), du rôle de l'art autant que de ses limites, de la liberté d'expression, de l'hypocrisie politique autant que de la colère populaire, en faisant une œuvre, notamment dans sa première partie, intense et volontairement confuse par l'imbrication et les liens qu'elle tisse.


On pourrait évidemment regretter quelques fausses notes et une absence finale de solution qui nous laisse sur notre faim, avides que nous sommes de résolutions et de verdicts de tribunaux. Mais l'image de Cantet, urbaine et sobre, adaptée à son sujet, la musique très réussie de Chloé Thevenin, et le jeu de Rabah Naït Oufella, qui de rôle en rôle confirme sa profondeur de jeu encore peu explorée, font de cet Arthur Rambo une œuvre contemporaine bienvenue, et le porte-voix, parfois glaçant, d'un discours incompris et/ou volontairement ignoré.


Le public conscient n'apprendra rien de ce film. Mais il se satisfera au moins de voir quelque chose de vrai.

Charles_Dubois
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le 31 janv. 2022

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Charles Dubois

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