A vouloir singer les autres, on ne devient personne.

Je pense qu’on se souvient tous d’avec quel film et d’avec quel auteur on a retrouvé le chemin des salles obscures après la longue période de fermeture des cinémas par la pandémie du Covid-19…
…Me concernant c’était avec Romain Quirot et son Dernier voyage ; un premier film certes inégal mais qui avait su être à la hauteur de l’événement. C’était un film fait à l’envie et qui avait cherché à faire les choses bien, assumant pleinement le substrat culturel dont il est le produit. Ça m’avait laissé un bon souvenir de ce fameux Romain, et je me rappelle qu’en quittant la salle, je me disais que ça pourrait valoir le coup de suivre ce jeune auteur, histoire de voir comment il évolue et mûrit sur le temps long.


Presque trois ans plus tard, Romain Quirot est donc de retour avec cet Apaches et, en ce qui me concerne, ce fut bien avec une réelle curiosité que j’ai accueilli l’arrivée dans les salles de ce nouveau long-métrage ; curiosité très vite doublée d’un enthousiasme certain sitôt j’ai vu les premières minutes du film.
Comme pour son précédent film – et peut-être même encore davantage – la maitrise formelle est manifeste. L’introduction traduit un réel souci d’esthétisation, de dynamique et de cohérence. On reprend tous les codes du cinéma bigger than life d’outre-Atlantique et on s’efforce de les insérer dans un référentiel très franco-français à base de Paris dix-neuvièmiste, de Sarah Bernhardt et de ruelles sombres.
Quirot ne cache d’ailleurs pas ses intentions : dans la droite continuité de son précédent film, il entend dès son introduction légitimer les ponts qu’il dresse entre cinéma américain et cinéma français. Comme une sorte de pied-de-nez revendiqué, il pose au fond des ruelles bien parisiennes une Statue de la liberté prête à partir pour les États-Unis ; l’occasion de rappeler dès le départ qu’il n’y a un siècle et demi les échanges culturels entre les deux rives de l’Atlantique se faisaient déjà et pas forcément que dans un sens.

Et comme manifestement le message ne lui semblait pas suffisamment explicite, Quirot décide à la fin de sa scène de faire sauter les entraves de la statue, histoire de bien signifier toute la liberté dont il entend jouir dans sa manière de piocher dans ses deux viviers. Et sur ce, d’ailleurs le générique éclate. Les gueules d’anarchistes franchouillards n’enchainent sur fond des Stooges et de cartons rouge criard. L’attentat contre les bonnes mœurs est tout de suite signé et revendiqué. De mon côté j’y voyais là un geste de bon augure. J’étais optimiste…


…Seulement hélas…


Hélas souvent, entre les ambitions revendiquées et les actes posés, il y a plus qu’un océan qui les sépare, et c’est malheureusement ce que j’ai très durement ressenti durant les presque deux heures de cet Apaches.
Alors OK, il est évident qu’une fois de plus, Romain Quirot a voulu faire les choses au mieux et a su mettre les petits plats dans les grands. A côté des quelques habitués des productions Canal (Hugo Becker, Artus et plus récemment Rod Paradot), on retrouve quelques valeurs sûres du cinéma français en termes d’acteurs à gueule : Dominique Pinon, Jean-Luc Couchard, Emilie Gavois-Kahn ou bien encore l’ancien « Deschiens » Bruno Lochet. Idem niveau décors et costumes on a vraiment de quoi s’en mettre plein les mirettes. Et puis et surtout – quitte à se répéter – on sent bien que chaque plan a été pensé pour coller au mieux à la démarche artistique globale du film… Mais…


Mais le souci que j’ai avec ce film c’est qu’il puise sans jamais parvenir à incarner.
Ici on réinvestit les codes du western en singeant parfois Sergio Léone. Là on se prend pour Tarantino himself en repompant éhontement – pardon en rendant hommage ! – son fameux Kill Bill, et quand bien même l’ami Quirot met-il le plus grand soin à réciter ses classiques – et quand bien même essaye-t-il de caser ça et ses propres playlists vintages de frenchy – que malgré tout aucune de ses scènes ne parvient à devenir autre chose qu’un stéréotype de genre.
La quête vengeresse ? Déjà vue.
Le gang badass qu’on icônise comme idéal de liberté ? Déjà vu.
La scène de roulette russe ? L’ami curé ? Les exécutions sanguinolentes ? Vue, vu et déjà vues.
Au fond ce film ne dit rien. Il se contente de réciter.
Il est tristement creux
…Et je pense que s’il est si creux c’est malheureusement parce qu’il manque encore à Romain Quirot quelques cordes à son arc pour être vraiment capable de restituer ce cinéma qu’il entend se réapproprier.


Encore une fois, j’apprécie la démarche de Romain Quirot.
J’apprécie son envie. J’apprécie le soin qu’il apporte à son travail. J’apprécie même qu’il cherche à se revendiquer de ce dont il se revendique…
Chercher à faire la synthèse entre les cultures populaires française et américaine, moi ça me va parfaitement. Tout comme Romain Quirot, je suis moi-même un enfant de ces deux cultures… Mais osons regarder les choses en face : qu’est-ce que la synthèse de Quirot a su produire de singulier et de signifiant ? …De simplement vibrant ?
Alors certes, il est vrai que si l’on prend le cinéma de Quentin Tarantino comme référence, il est difficile de ne pas se rendre compte à quel point son style et de son identité s’est en partie construit sur un étrange sens du patchwork ; un art qui consistant à associer des éléments culturels très contrastés et parfois antinomiques – souvent en dépit de véritable logique – et qui peut tout autant agacer de par sa gratuité qu’il peut fasciner de par son efficacité.
Quirot a voulu s’emparer de ça dans son Apaches et franchement « pourquoi pas ». Le problème c’est que, d’une part, en presque trente ans de temps, il n’a clairement pas été le premier à vouloir le faire. Et surtout d’autre part, il serait réducteur de croire que l’art de Tarantino ne repose que sur cet art du patchwork là.


Car au-delà de ses compositions chamarrées un brin fantasques, le cinéma de Tarantino se caractérise aussi et surtout par cet art plus subtil– et difficilement imitable – qui consiste à porter l’attention sur ce qui devrait être négligé ; à anoblir ce qui devrait être méprisé.
Ce sont les hommes de mains qui philosophent sur la moralité des massages de pied ainsi que sur la pertinence des dénominations de burgers. C’est la sophistication verbale de l’officier nazi capable de dévoiler n’importe quelle duplicité quand le reste du Reich ne sait user que du Panzer ou de la MG-42. C’est l’acteur de seconde zone qui est capable de sortir un moment mémorable de cinéma malgré l’indigence du film pour lequel on l’a invité à tourner…
Plus qu’être un art du patchwork, le cinéma de Tarantino est en fait bien plus un art du contrepied.
Contrepied verbal. Contrepied dans les temps accordés aux scènes. Contrepied dans l’association des éléments culturels mobilisés…
…Où est le contrepied dans le cinéma de Romain Quirot ?
…Qu’est-ce que ça apporte au schmilblick de mettre du Philippe Lavil plutôt que de l’Aretha Franklin dans une scène d’exposition ?
C’est juste un changement esthétique, mais ce n’est pas un changement signifiant.


En fait ce qui est triste avec la mise en scène de Romain Quirot dans cet Apaches c’est qu’il apparait manifeste à quel point il a une approche superficielle du cinéma de Tarantino, pour ne pas dire une approche superficielle du cinéma tout court.
Oui Tarantino fait du patchwork c’est vrai, mais il ne le fait pas aléatoirement. Il ne le fait pas en déconnectant cet exercice-là d’une démarche artistique. Or quelle est la démarche artistique de Quentin Tarantino ?
Cette démarche artistique, elle repose pour l’essentiel sur un principe central : la revalorisation de la culture populaire.
Dans l’esprit de Tarantino, il y a dans la culture populaire tout ce qu’il faut pour éveiller l’esprit, autant que dans la culture classique. Il y a d’ailleurs dans la culture populaire la même subtilité et la même diversité que la culture classique. Et s’il est vrai que le cinéma de Tarantino est un art qui va allégrement piocher dans le déjà-existant de la culture pulp, le fait est qu’il alimente aussi d’un rapport au réel populaire.


Le mall de Jackie Brown n’est pas un mall de cinéma. Pas plus que son parking, ou le coffre de la voiture d’Ordell ne sont des éléments iconiques de cinéma. Tarantino n’a pas mobilisé un imaginaire de cinéma ici. Il a au contraire mobilisé des éléments du quotidien – qui se singularisent justement du fait qu’ils ne sont pas cinégéniques – faisant ainsi que ce n’est que par le prisme de son cinéma à lui qu’ils ont fini par devenir des éléments iconiques.
L’art du contrepied de Tarantino ne repose donc pas que dans des choix d’association plus ou moins heureux d’éléments culturels contrastés. A bien y regarder Tarantino brasse bien plus large qu’il n’y parait au premier abord, n’hésitant pas à sortir des codes et des représentations classiques du cinéma…
…Et c’est parce qu’il brasse large qu’il brasse riche.
…Et c’est parce qu’il brasse en ayant une démarche artistique claire que cela finit par produire du sens ; que cela finit par briser des codes classiques pour en légitimer de nouveaux…


Or que brasse Romain Quirot avec cet Apaches ?
En fait il ne fait que brasser du Tarantino ; des codes déjà installés. Des codes qui ne rompent rien.

Alors oui, les associer avec l’imaginaire de la Belle époque aurait pu produire quelque-chose de nouveau, de signifiant, de vivifiant… Mais – comme pour ce qui relève des codes tarantiniens – pour que cela soit possible, encore aurait-il fallu creuser un peu plus loin que la surface.
Parce que moi je trouve ça bien que ce film mobilise la figure des bandits anarchistes de la fin XIXe. Pour le coup ça a carrément du sens au regard des intentions « rebelles » de Quirot… Mais là encore, qu’est-ce que ce film en fait de ces figures anarchistes ? Ça roule des mécaniques comme ça roule des barillets, ça picole et de temps en temps ça claque un « salauds de bourgeois » ou un « nique la police », mais au-delà de ça ?
Est-ce qu’on prend la peine de creuser la culture sociale-libertaire de lutte de classe ou de propagande par le fait pour alimenter cette démarche artistique visant à faire sauter les conventions bourgeoises imposées actuellement au sein de notre cinéma hexagonal ?
…Ou bien est-ce qu’on en profite pour mobiliser des figures de rebelles bien de chez nous pour opérer ce pont entre les cultures revendiquées ? Est-ce qu’on part puiser chez les Lautner, Melville, Verneuil, Oury, Veber, Kassovitz ou Gavras pour faire ce grand melting pot tant promis ? Il y a bien à un moment donné une tentative de badinages autour du cul du personnage de Berthe mais ça tombe là, un peu comme un cheveu sur la soupe, et ça tourne vite en rond. On est bien loin de l'écriture d'Audiard. Encore une fois tout tombe à plat faute de relief.
A bien tout prendre les anars de Quirot ne sont que des pantins en costumes qui n’ont aucun fond, qui ne portent rien, n’incarnent rien. L’anarchisme ou la Belle époque ne sont pour Quirot qu’une dimension esthétique superficielle, comme tout le reste.


En fait le vrai problème de cet Apaches c’est qu’il tourne à vide.
Vouloir faire de son cinéma une synthèse d’entre deux cultures est certes une chouette idée mais cette idée implique en contrepartie d’être capable de mobiliser ces deux cultures.
Or qu’est-ce que Quirot parvient à mobiliser du cinéma américain ? Au fond, que de la forme, que des gimmicks d’autant plus usants qu’ils sont usés jusqu’à la corde.
…Et surtout qu’est-ce que Quirot parvient à mobiliser du cinéma français ? Un bout de casting des films de Jean-Pierre Jeunet… Et ?
Tel un triste constat d’inculture, Romain Quirot en est réduit à projeter ses références en toile de fond, comme ce Méliès qui vient décorer sans lien aucun une scène de meurtre sans idée mais pleine d'esbroufe.
Méliès, ou ce qui doit rester d’un lointain cours de lycée sur l’histoire du cinéma…
Et si je veux bien croire que Romain Quirot en sache plus que ça sur le cinéma français, moi ce qui m’afflige c’est que son film n’en dit absolument rien.


C’est terrible à dire, mais ce film pue la pauvreté.
Pauvreté du fait d’être un cinéma ne sachant pas s’alimenter au-delà des seules références cinématographiques ; pauvreté du champ très restreint de ces références ; et surtout pauvreté au regard de la lecture superficielle qui est faite de ce peu-là.
Au final, ce qu’il reste au fond de l’écumoire de Romain Quirot est tellement transparent qu’il vire à la farce, au pantomime.
Pire, osons le dire, on sombre carrément dans un pastiche d’autant plus ridicule qu’il est involontaire.


En définitive – et au moment de faire le bilan – ne me reste de cet Apaches que de l'amertume.
Quand j’ai découvert Romain Quirot avec son Dernier voyage, j’avais vu un auteur qui avait tenté et réfléchi son projet. J’avais vu un auteur maladroit, mais un auteur qui ne demandait qu’à mûrir…
…Et finalement cet Apaches est arrivé et qu’ai-je trouvé ? Un film régressif, produit sans recul et sans vision. Une farce risible.
C’est horrible, mais en réalisant cet Apaches, Romain Quirot est venu donner du grain à moudre à tous ceux face auxquels il entendait se rebeller.
Quirot qui voulait montrer qu’il pouvait surgir quelque-chose de neuf et de revivifiant pour le cinéma français par le fait de s’ouvrir pleinement et d'assumer l’influence du cinéma dominant, a produit au final l’exacte démonstration inverse. Il a produit un cinéma vain, un cinéma d’inculte, un film fermé sur lui-même et incapable de se réinventer...
...Un cinéma dont ne manqueront pas de se moquer tous ceux qui méprisent les bouffeurs de Kalhua...


Mais bon, quand bien même mon constat se révèle-t-il au final fort salé que celui-ci ne doit pas pour autant nous faire perdre de vue les quelques raisons qu'on a encore d'espérer.
Romain Quirot est encore un jeune effarouché qui n'a pas été suffisamment déniaisé.
Laissons donc lui le temps de faire ses armes et surtout de bien digérer.
Parce qu'avec une telle envie de bien faire, peut-être apprendra-t-il à aller voir ailleurs,
Et sûrement qu'alors il n'en ressortira que du meilleur...

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le 31 mars 2023

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