La superposition des conditions ou les vestiges vivants d'un passé.

Certains diront que c'est un film d'extrême gauche. D'autres, un peu plus rustres, diront que c'est un film raciste ou un film masochiste occidental. Nous entendrons sans doute parler de la concurrence des mémoires, de la victimisation des minorités, de l'hystérie du combat anti-raciste, de propagande islamo-gauchiste ou du sempiternel "comparaison n'est pas raison". La rhétorique est à peu près toujours la même, elle est connue par cœur à force d'être entendue sans cesse. Face à l'art véritable, elle est bien peu de choses. Il est vrai que ce film possède cette épistémologie si agaçante aux yeux de certains. Il est vrai que le film porte un message politiquement correct à quelques mois de la présidentielle américaine pendant les mouvements Black Live Matters. Il est vrai que les bons sentiments font rarement des bonnes œuvres. Et pourtant, Antebellum est un thriller absolument brillant, génial, excellement filmé, génialement interprété et audacieusement écrit. Il m'est très difficile de comprendre pourquoi beaucoup sont sévères envers ce film. Est ce parce que le film est très opposé à sa bande-annonce? Est ce parce qu'il irrite ? Est ce parce qu'il ressemble un peu à Get Out ou à Us ? La question est complexe, d'autant que le film est bien meilleur que ces deux dernières citations. Il est bien évident que c'est sans doute le propos, qui transparaît vraiment du film, qui n'est pas au goût d'un public las de la culpabilisation. Cela pourrait se comprendre si le film n'était pas bon. Or, indubitablement, il l'est. Si certains estiment que l'opportunité de sa date de sortie est curieuse, il est paradoxalement sans doute exactement l'inverse : le film, intelligent et vraiment osé, tombe mal.


Il y a dans l'Occident actuel une véritable allergie vis-à-vis du concept de déconstruction de l'Homme Blanc et de son passé colonial. La question se discute et il est tout à fait entendable que des penseurs se soulèvent face à une essentialisation de l'épistémologie et du combat politique, regrettable à bien des égards. Pourtant, il ne faudrait tout de même pas perdre de vue que beaucoup d'œuvres, littéraires comme cinématographiques, sont communément admises comme étant géniales alors même qu'elles sont politiquement parfois à l'opposé de ce que nous pensons. Antebellum transcende largement ces débats éthiques pour une seule et unique raison : son esthétique est bien supérieure à son propos. Mais si cet argument n'était pas tout à fait convaincant, je pousse le bouchon jusqu'à affirmer que je suis bien d'accord avec sa thèse, d'autant plus que ce film a été souvent bien mal compris. Tandis que certains y voient un parallèle et une continuité entre deux époques opposées, et une culpabilisation des blancs envers les noirs, il me semble davantage que le film ne compare ou n'oppose pas : il superpose. C'est bien là tout le génie du film qui parvient à révolutionner les films du genre pour devenir une sorte de métaphore du réel, plus nuancé et philosophique qu'il n'y paraît. Mais pour beaucoup, le sens de la subtilité a été substitué par les fausses postures.

PaulStaes
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le 19 sept. 2020

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Paul Staes

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