Angèle
5.9
Angèle

Documentaire de Sébastien Rensonnet et Brice VDH (2021)

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Du risque d'une rétrospective après un seul album...

Se lancer dans un docu rétrospectif après un seul album, c'est un peu comme écrire son autobiographie à 25 ans : il y a une grosse promesse de vide. Mais la popularité d'Angèle ayant été si rapide et soudaine, on pourrait comprendre qu'une analyse de cette starification éclair puisse intéresser. Malheureusement, après visionnage du documentaire, difficile d'en retenir grand chose.


Sur la forme, d'abord, je trouve que le film ne traduit pas du tout l'intensité de la propulsion de la chanteuse sous le feu des projecteurs, cette idée de vitesse. Parce que ce docu n'a pas suivi Angèle durant cette période, il suit Angèle durant le confinement, alors qu'elle fait une pause et jette un oeil derrière son épaule, analyse ce qu'elle vient de vivre. C'est un peu ça, ce docu : une pause, comme celle du confinement. Angèle seule, Angèle qui replonge dans ses journaux intimes, qui les relit à voix haute. Une approche introspective pas inintéressante mais prématurée : si le même docu avait été proposé a minima après deux albums (permettant ainsi par ex. d'évaluer si le second qu'elle annonce moins universel rencontrera le même succès, ou encore comment sa maturité impactera sa gestion d'image), ça aurait été à mon sens beaucoup plus pertinent. Un docu lent à 25 ans, sur une artiste qui n'a sorti qu'un album, c'est un peu trop pour moi.


Sur le fond, je n'ai pas pu m'empêcher de trouver Angèle égocentrique - même si elle apparait sensible et souligne à de nombreuses reprises à quel point elle doute d'elle-même, manque de confiance, est la première étonnée de son succès, etc. Mais Angèle est la narratrice de ce docu, et comme elle est surprise par son succès, elle ne cesse de le mentionner tout au long du film, ce qui est un peu lourdingue. Ce docu, c'est Angèle qui filme des gens venir à son concert et qui souligne qu'ils lui dédient leur soirée, que c'est fou ("lui il vient pour moi, lui aussi"), c'est Angèle qui explique que ses fans l'aiment plus qu'elle les aime, que c'est frustrant. Ce docu, c'est quasi exclusivement la parole d'Angèle (elle l'annonce d'emblée au début : "personne d'autre que moi ne peut aussi bien raconter mon histoire"), qui répète qu'elle veut exister pour elle-même, ne pas être "la fille de", "la soeur de". On la comprend, mais dans la manoeuvre on nous prive du point de vue de personnes extérieures qui auraient pu enrichir l'ensemble.
Je ne parle pas de sa famille mais par ex. de son public, à qui il aurait pu être intéressant de donner la parole pour comprendre pourquoi ils aiment ses musiques, comment elles résonnent en eux, plutôt que de les filmer, de loin, et de dire "wow, comme ils m'aiment !". Est-ce que Balance ton quoi a éveillé des consciences, est-ce simplement une sympathique hymne à reprendre en coeur lors de manifestations, pour n'interroger que le succès de son plus grand tube ?
Je pense aussi à l'analyse de pro : comment expliquer l'emballement médiatique autour de la chanteuse ? Pourquoi c'est si intéressant de parler d'Angèle ? En visionnant le docu, on pourrait croire que les milliers de vues sur la vidéo youtube de La loi de Murphy ont suffit à la propulser là : elle souligne d'ailleurs qu'elle n'avait à l'époque pas de label, pas de stratégie marketing... mais qu'en est-il de l'après (veut-on nous faire croire que tout lui tombe dans la main sans effort stratégique) ? Que lui a apporté son second manager par exemple, ayant un profil a priori plus aguerri ?


Et quand bien même on retiendrait l'idée d'un docu exclusivement à la première personne, Angèle nous parle ici beaucoup plus de sa "fame" que de son métier. Côté artistique, comment est-elle passée de prestations dans des clubs de jazz à la musique pop qu'elle propose aujourd'hui ? Que se passe-t-il entre des idées jetées sur ses "carnets à secrets" et la création d'une chanson ? Comment travaille-t-elle avec Tristan Salvati ? Côté marketing, après ses déconvenues avec Playboy, Angèle explique qu'on ne l'y prendra plus et que son image est devenue millimétrée : pourquoi ne pas entrer dans le coeur du sujet et analyser cette dite image ? C'est quoi, l'image d'Angèle ?


Tout dans ce docu est survolé, traité en surface, et c'est bien dommage.


J'ai pas non plus tout détesté, voici ce que je sauverais :
1/ La séquence sur la première scène d'Angèle avec Damso, alors qu'elle était encore une inconnue et où est elle huée par le public, est peut-être la plus intéressante car elle nous révèle un parcours un peu moins linéaire. Cependant là encore, l'explication d'Angèle sur la façon dont elle a surmonté cette épreuve est un peu légère : on la voit remonter sur scène le lendemain, décider de ne pas se laisser abattre et dire avec assurance au micro "vous êtes chauds ce soir ?" - et là, le public est content, il l'acclame, difficile de comprendre ce qu'il s'est passé...

2/ La voix off d'Angèle m'a fait penser à la voix off de Romain Duris dans l'Auberge Espagnole : le ton, le phrasé sont un peu similaires. Comme j'aime bien Romain et l'Auberge Espagnole, j'ai trouvé ça mignon, presque cinématographique. Malheureusement, entre deux voix off d'Angèle, il y a moins d'action que dans le film de Klapisch. Finalement, Angèle aurait pu faire un podcast d'elle en train de lire ses journaux intimes, ça aurait presque été plus adapté !


En bref, si vous n'aimez pas Angèle, je doute que ce documentaire vous la rende très sympathique (côté auto glorification) ou vous prouve son talent (manque d'analyse artistique). Si vous l'aimiez bien, comme moi, il vous la rendra peut être moins sympathique (il faut le faire !). Si vous êtes fan, je me demande ce que vous apprendrez, mais probablement serez-vous satisfait d'un contenu inédit, c'est toujours ça de pris. Personnellement, je crois que je vais faire un effort, fermer mon onglet Netflix et aller streamer la mini-série documentaire The Beatles : get back, dont j'ai entendu tellement de bien récemment, ou bien pour rester sur des artistes contemporains, le docu sur Orelsan que quelqu'un a souligné ici comme beaucoup mieux construit...

inimay
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le 19 déc. 2021

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