Qui est le maître ? Le peintre, ou le faussaire ?

American Bluff c’est l’histoire d’un mec qui veut arnaquer des mecs qui l’ont arnaqué, non, c’est l’histoire de mecs qui veulent arnaquer un mec qui les a arnaqué, non, ouais bon bref, c’est un peu les deux à la fois.

Comme son nom l’indique, le film tente de démontrer que l’être humain, au cours de sa vie, bluff toute son existence au sein de celle des autres. Il bluff ses sentiments, ses intentions véritables, ses jugements, ses passions et envies, il bluff même jusqu’à sa propre identité. Dès lors le carton de début de film « Une partie de cette histoire s’est vraiment déroulée » étonne. Est-ce mentionné dans un but comique, comme l’a fait Michael Bay dans No Pain no Gain ? Est-ce la trame de fond politico-truande qui en est la source d’inspiration ? Ou est-ce simplement parce que les actes engendrés par les différents protagonistes n’ont rien de fictifs ?

C’est là l’une des bases du problème du film. À travers ce film, David O Russell cherche à dévoiler à quel point l’homme est prêt à mentir pour parvenir à ses fins. Chaque personnage agit avant tout pour son propre compte et on a droit à une myriade d’entourloupe en tout genre, à des niveaux différents. Le film offre une liste presque exhaustive des bluffs de la vie quotidienne et les transpose dans un contexte de truanderie à plus grande échelle. D’un côté il y a le citoyen lambda qui cache quelques secrets à sa famille et son entourage et de l’autre une critique légère de la corruption des élus. Pour que le message nous affecte réellement, seuls les mensonges sentimentaux et autres cachotteries sont véritablement exploités. Le message du film devient légèrement flou, on finit par comprendre que la trame politique n’est qu’une toile de fond à peine utilisée et sans importance. Ce que l’introduction ne laissait pas du tout présager. Le film se contente alors presque de n’être qu’une banale comédie dramatique où les différents protagonistes règleront leurs compte entre eux et évolueront en essayant de se jouer des tours tout en apprenant leur vraie nature respective. Une sorte de huit-clos, qui n’en est pas un, dans la lignée de Festen ou Le Prénom, version américaine.

Toute la trame développée afin de faire tomber le maire Carmine Polito, perd tout son sens. D’abords la critique du gouvernement et de la corruption s’effondre puisqu’ils cherchent à faire tomber un maire honnête en le poussant à l’illégalité. Donc aucune prise de parti de la part du réalisateur sur ce point et aucun message sur les abus politiques n’est finalement diffusé. Ensuite parce que ça n’a aucun lien fondamental avec l’esprit que veut développer David O. Russell. La contextualisation dans la fin des années 70’ n’est absolument pas nécessaire et n’est qu’une lubie, certes appréciable, du réalisateur. De même que la nécessité de se baser sur des faits partiellement réels.

L’entreprise de vouloir mettre en avant les relations humaines et les choix que l’on fait dans notre vie est cependant louable. Et bien que les personnages soient assez clichés, on ressent nettement qu’ils ont été retravaillés par le cinéaste pour offrir des relations plus fantaisistes. Certains sont assez standards, comme le maire Carmine Polito, mais les personnages joués par Christian Bale, Jennifer Lawrence et Bradley Cooper par exemple, ont un véritable développement dans leur personnalité. La base de leur caractère est convenu et ils n’ont pas d’attitude inattendue, mais on ressent une part de leur passé. En ce sens, le mystère que les protagonistes peuvent engendrer colle bien à l’intention du film puisque nous sommes nous même « bluffé ». Même si ce n’est que très faiblement et secondaire, cela rend les personnages attachants auxquels on peut plus facilement s’identifier puisque nous aussi avons soit des mystères qui correspondent à leur style de vie, soit des principes qui nous permettent d’approfondir à notre manière la personnalité du personnage qui nous sied le mieux.
Mais cette part de mystère ne sauve malheureusement rien de l’ennui que l’on subit tout au long du film. C’est là son plus gros défaut. Même si l’on a bien compris que la manigance n’est que la toile de fond du film, elle occupe l’intégralité du scénario et donc l’intégralité du temps du film. Et cette intrigue est l’intrigue la plus dénuée de suspens qu’Hollywood a pu nous offrir. Dès le début on sait parfaitement comment tout va se terminer. On sait qui va perdre et qui va gagner, même si l’histoire veut que le résultat ne soit pas aussi manichéen que cela, et on sait également qui va finir avec qui. Les personnages sont assez bien développés à l’unité, mais n’offrent aucune évolution de groupe. À ce niveau ils sont bien trop lisses et leurs attitudes sont bien trop sectaires. « Si on a réussi si longtemps c’est parce qu’on a su rester petit » est l’une des phrase qui dévoile tous les éléments de l’intrigue. En fait, chaque personnage se dévoile au cours du film, mais leurs déclarations n’a finalement que très peu d’impact sur le futur et le changement de personnalité des autres, puisqu’il n’y aura justement pas de changement. On ressent le passé de personnages qui n’ont aucun futur.

Connaissant tous les éléments de l’intrigue très rapidement, le spectateur devine très facilement ce qu’il adviendra par la suite. Les personnages ne sont d’ailleurs pas le seul élément qui empêche tout suspens d’être développé, le montage y a également une part de responsabilité. Prenons l’exemple le plus flagrant, vers la fin, lors d’une discussion entre Irving (Christian Bale) et Sydney (Amy Adams) où ils parlent de Rosalyn (Jennifer Lawrence), et au plan suivant, la caméra filme le-dit personnage. Même si l’on se doute depuis un moment que Rosalyn finira par faire ce qu’elle fait, le montage nous le confirme. Et le seul suspens qui survient de cette séquence n’a encore pour but que de développer le personnage de Rosalyn mais n’affecte pas le récit et n’est pas un élément clef de l’intrigue. On comprend donc mieux le choix du casting et on apprécie d’autant plus les larges décolletés de Amy Adams et Jennifer Lawrence qui sont les seuls éléments à nous octroyer un regain d’intérêt. Et on ne s’étonne pas de les voir constamment dans cette tenue. Le mélange montage et casting est d’ailleurs si bien utilisé que l’apparition de Robert De Niro est également un regain d’intérêt. D’autant que sa scène est particulièrement jouissive, bien qu’elle soit dépourvue de suspense également.

Ce qui gène avec le montage, c’est également son rythme étrangement lent. Aucun suspense, histoire sans intérêt, rythme peu rapide, il faut être sacrément patient pour accepter de voir le film entièrement. La faute incombe beaucoup à la bande-annonce qui fait partie de cette fameuse catégorie « mieux que le film ». Rythmée, s’approchant un tantinet de la psychédélie de celle du Loup de Wall Street, elle laissait présager une production plus explosive avec un second degré juste ce qu’il faut de perceptible. Mais là encore, on ne peut que se plier face à ce nouveau coup de bluff.
On notera quelques très belles scènes, comme le montage alterné entre les péripéties de Irving dans la voiture et sa discussion avec Rosalyn. De même que l’on remarquera quelques références cinématographiques incontestables et que l’on apprécie grandement la BO pop rock qui donne le ton au film. Et enfin on applaudira le jeu d’acteur suffisamment convaincant et en particulier les sacrifices qu’à dû faire Christian Bale pour son rôle. Autant dire qu’on peut avoir une certaine forme d’admiration pour le travail fourni par toute l’équipe, on est juste déçu que cette implication se soit révélée aussi restreinte.
Notry
6

Créée

le 28 févr. 2014

Critique lue 317 fois

Notry

Écrit par

Critique lue 317 fois

D'autres avis sur American Bluff

American Bluff
guyness
5

Jeux d'artifices

Une critique à 4 mains et presque en 3G (Guyness & Gothic) : 1ERE PARTIE Le juge: Mesdames et Messieurs, l'audience est ouverte. Procureur GuyNess: Maître Gothic, votre rôle d’avocat vous empêche d’y...

le 14 févr. 2014

49 j'aime

20

American Bluff
Nomenale
7

To curl up and dye* [revue capillaire]

- Dis donc, Nomé, Faudrait pas prendre l'habitude de critiquer trop de films, et puis quoi, ils sont où tes bouquins de dépressifs ? - Ca vient. D'ailleurs je m'étais promis que ma prochaine critique...

le 12 févr. 2014

48 j'aime

5

Du même critique

Soda
Notry
2

Critique de Soda par Notry

Bon voilà, j'ai fini par regarder quelques épisodes de Soda pour me faire une idée et arrêter de dire que c'était de la merde sans le savoir. Maintenant je peux dire que c'est de la merde en le...

le 17 juin 2012

20 j'aime

4

Les Beaux Gosses
Notry
1

Non non non non non et non !

Non, ce n'est PAS possible. Je ne suis pas du genre à cracher sur un film mais là c'est insupportable, c'est une conspiration du mauvais goût, c'est un coup monté. C'est la théorie du complot je sais...

le 6 juin 2012

19 j'aime

8

Scènes de ménages
Notry
5

Critique de Scènes de ménages par Notry

Au début c'était amusant, les situations comiques étaient assez bien faites, quand on ne riait pas on pouvait au moins sourire. Et puis en général y avait jamais grand chose d'autre à regarder...

le 16 juin 2012

15 j'aime