La bonne, le caduc et l'ardent

Je dois vous faire un aveu : je suis quelqu'un d'envieux.
Je ne vois pas ça comme un défaut de ma propre personne, ni comme un handicap "mental" car, il existe évidemment des envieux maladifs, haineux, dangereux. Et je ne suis pas de ceux là, du moins je l'espère. Il y a ce logiciel en moi, et j'ai le contrôle dessus, mais je ne peux le réfuter indéfiniment et pour cela, j'essaye d'en faire une force. Pour toutes choses je peux ressentir ce sentiment d'"envier", que ce soit quelqu'un ou quelque chose. Physiquement, intellectuellement ou matériellement.


De ce fait, Amadeus résonne en moi comme un battement de tambours et fait ressurgir une facette dont j'ai honte, puisque je me reconnais en quelques fragments dans le personnage de Antonio Salieri. Pas au point de vouloir du mal aux autres, ni au point de manigancer je ne sais quel stratagème pour arriver à mes fins. Mais j'ai déjà ressenti plusieurs fois la fureur ou l'incompréhension dont il est le réceptacle durant toute la durée du film. J'ai rarement été aussi investi émotionnellement dans un film, en général quand il s'agit d'un récit historique je suis davantage intéressé par l'information qu'il peut m'apporter, et la teneur de cette information à travers une péripétie, et accessoirement la mise en scène pour caractériser cette information.


Et je ne demande que ça au cinéma, me sentir concerné par ce que je vois à l'écran. Je ne demande que ça au cinéma, me faire ressentir les émotions les plus profondes d'un personnage. Je ne demande pas d'être forcément poussé dans mes retranchements, ni d'être affublé d'images de violence ou de spectaculaire, quoi que il m'arrive de m'en satisfaire à travers quelques blockbusters popcorns. Mais quand il s'agit de grâce, de virtuosité, de choses qui ne sont pas dues à des savoirs ou des connaissances et qui se déploient de manière naturelle et simple à la fois, je ne peux qu'être admiratif. Amadeus est un poème au mélange savoureux, entre un humour dont je ne pensais pas être client, de la mélancolie qui me touche, une interprétation incroyablement crédible et un dosage parfait permettant un rythme exaltant... le résultat est effarant de talent.


Amadeus fait l'éloge d'une vie. Celle de Mozart. Mais il fait également l'éloge de son époque à travers les nombreux compositeurs de cette période. Je ne suis pas un très grand amateur de musiques classiques, je suis un éclectique musical donc j'en consomme modérément pour laisser cette empreinte de "rareté" à mes oreilles et m'en délecter de temps en temps comme d'une délicieuse pâtisserie que mon père m'achetait une fois par semaine durant mon enfance. Mais cela dit, je suis un amateur de grandes histoires, de ces personnages impliqués et déchirés par une passion à tel point qu'ils en perdent la vie... et cela Amadeus en fait l'état de manière extraordinaire. Arborant plusieurs thèmes : la religion, donc la foi, la nature humaine, donc le rapport à l'autre... et j'en passe.


Amadeus est une œuvre qui compte infiniment pour moi depuis que j'en ai fait la découverte il y a quelques années. Dans sa version longue, je n'ai pas ressenti une seule fois l'ennui, pas une fausse note. Je me suis senti impliqué dans cette fresque symphonique, même si il peut y avoir des invraisemblances ou de la fantaisie un poil exagérée, même si l'on s'éloigne de certaines vérités historiques dues à Mozart, j'en ressors totalement satisfait d'un point de vue cinématographique. Les décors, les costumes, les manières dont pouvaient faire preuve les pauvres gens ou les grands nobles de ce siècle, la vision de Salierie sur son rival qui nous est offerte... l'alchimie de toutes ces qualités permettent à Amadeus de se hisser très haut dans le ciel du septième art. Je n'oublie pas de mentionner Tom Hulce qui réalise une prestation parfaite, débutant à l'image dans la peau d'un virtuose confiant, innocent et quelque peu hautain, malgré lui, pour finir dans la peau d'un homme toujours aussi naïf et donnant l'impression d'être imbu de lui-même... mais il en devient profondément empathique.


Magnifique, touchant, drôle, haletant, pertinent et passionné. Je n'aurai sûrement pas dit non à une heure de plus. Preuve que ce film continue de faire écho en moi, un opéra d'exultations et de sonorités disposées dans un emballage visuel et technique des plus convaincants. Et pour ça, j'applaudis.

Créée

le 7 nov. 2019

Critique lue 568 fois

19 j'aime

5 commentaires

Eren

Écrit par

Critique lue 568 fois

19
5

D'autres avis sur Amadeus

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

176 j'aime

68

Amadeus
Alex-La-Biche
9

Mozart Fucker

Moi, je m'en tamponne la clarinette de Mozart. D'autant plus qu'il ne s'agit même pas d'un vrai biopic sur le compositeur, mais simplement d'une adaptation éponyme d'une pièce de théâtre signée Peter...

le 22 oct. 2014

117 j'aime

36

Amadeus
jaklin
9

La pesanteur et la grâce

Un film sur la musique classique ?! Et qui a eu du succès… C’est suffisamment rare pour lui consacrer un peu d’attention. Ce film est enthousiasmant pour plusieurs raisons et on oubliera la sagesse...

le 2 sept. 2018

72 j'aime

50

Du même critique

Babylon
Eren
10

Mille & une cuites

On le sait depuis quelques jours, le film de Chazelle a fait un gros bide pour son entrée au cinéma. Je ne vais pas m’étaler sur la question du pourquoi et du comment de ce bide, même si cela a...

Par

le 6 janv. 2023

124 j'aime

25

Les Sentiers de la gloire
Eren
10

La Fureur de l'Étranger

Je la tiens pour de bon. L'oeuvre de Stanley Kubrick la plus touchante et humaine. Pour moi j'entends... L'oeuvre qui, quand on me citera le nom de son réalisateur, me reviendra à l'esprit avant...

Par

le 8 févr. 2014

121 j'aime

7

Mad Max - Fury Road
Eren
8

POPOPO !!

Un putain de grand concert dans un monstrueux désert, flambé par le talent de confectionneur de ce cher Miller qui, au contraire d'être avantagé, aurait pu être surmené par l'handicap que génère ce...

Par

le 14 mai 2015

118 j'aime

5