Depuis Vinyan en 2008, Octopus d’Or au Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg (FEFFS) la même année, Fabrice du Welz avait déserté les plateaux de tournage. Il faut dire qu’à sa sortie, le film fût un échec critique et public considérable. Six ans d’absence qui ont servi de remise en question pour le belge qui décida de se lancer dans une production ambitieuse lorsqu’il fût contacté l’an passé par Thomas Langmann, le fameux producteur français à qui l’on doit la réussite outre-Atlantique de The Artist. Ce dernier lui proposant un polar de commande, Colt 45 devait s’avérer être l'un des blockbusters français de l’année. En pleine pré-production, Du Welz ira jusqu’à dire que son polar se rapprochait d’un The Raid et à rien d’autres vu apparemment en France. Malheureusement, l’euphorie des débuts laissera place à un tournage chaotique, une production épouvantable et un Fabrice du Welz furieux et reniant totalement son film. Colt 45 est sorti au milieu de l’été et fût le désastre annoncé, n’attirant que quelques dizaines de milliers de spectateurs en salles pour un budget de près de douze millions d’euros. Un four financier. Au sortir de cette mésaventure, le réalisateur belge se dirigera vers une production plus modeste mais également plus personnelle. Avec Alleluia, il continue ce qu’il a entrepris en 2004 avec Calvaire, le thème de l’amour fou. Et d’après ce qu'il a annoncé, le film est le second opus de la Trilogie ardennaise, dont le dernier volet sera tourné d’ici deux ans, toujours avec Laurent Lucas.

Alleluia s’inspire d’un fait divers macabre survenu au Etats-Unis, celui des Tueurs de la Lune de Miel. L'histoire d'un couple d’américains passionnément amoureux qui ont assassiné et dépouillé de vieilles veuves entre 1947 et 1949, avant d’être arrêté et condamné à la chaise électrique. Jusqu’au procès, ils évoqueront leur amour passionnel qui les a conduits à la folie. Fabrice du Welz s'approprie donc cette trame, mais s’éloigne du mythe et nous livre une histoire toute aussi passionnelle, installée cette fois-ci dans des terres ardennaises hostiles. L'ouverture du film se fait sur un plan fixe, celui d’un corps froid sur une table d’opération. Une femme arrive et commence à nettoyer ce corps avec une éponge, de manière très clinique. Le plan suivant élargit un peu plus le cadre et dévoile l'aspect mortuaire du lieu. Au sein de ce lieu si symbolique de la morgue, Gloria, cette femme avec son teint cuivré, contraste avec les couleurs froides de l’environnement mais fait preuve d’un grand calme et s’adapte au climat de la pièce. Ce sont les premiers plans d’un film qui verra cette femme être amenée à commettre les crimes les plus macabres. Ces premières images du film évoquent déjà l'expérience précieuse de cette femme amené à côtoyer régulièrement la mort. Au-delà de ces plans qui posent directement les bases d’un film qui va assurément retourner le spectateur, c’est la qualité d’image qui surprend. Fabrice du Welz fait le choix de la pellicule, tournant en 16mm avec un grain sale et poisseux. Choix pertinent tant il insiste sur l’aspect sauvage et primaire d’une histoire d’amour excessive dont la folie emmènera les deux protagonistes aux frontières de leurs limites. C’est ce que les psychologues appellent « folie à deux ». La rencontre entre Michel (Laurent Lucas impeccable) et Gloria (Lola Dueñas démente) est un des moments savoureux du film tant il fait preuve d’humour malgré lui. Dans un restaurant au cadre séduisant, Michel élabore une analyse de personnalité selon les chaussures des clients qui entoure leur table. Terriblement Cynique.

Car si Alleluia est un récit macabre, Fabrice du Welz y incorpore une dose d’humour noir efficace. Un équilibre parfaitement dosé entre l’humour et le drame, mettant à distance le spectateur de cette folie meurtrière. Cette folie portée par deux acteurs parfaits, à commencer par le revenant Laurent Lucas (présent dans Calvaire, le premier long métrage de Du Welz) qui incarne ce « gigolo » escroc mais charmant et d’une Lola Dueñas hystérique à souhait. Alleluia fait preuve d’une écriture psychologique fine des personnages, à tel point que le récit macabre des tueurs de la lune de Miel n'en devient que plus plausible. Après la première rencontre, le récit interroge sur cette alchimie qui opère entre Michel et Gloria. Déçue en amour, Gloria voit en Michel une preuve que l’amour -le vrai- existe encore après un mariage gâché. A l'inverse, Michel voit en Gloria une sorte de figure maternelle qu’il n’a jamais vraiment eu pendant son enfance. Tombant fous amoureux, Michel ne peut cependant s’empêcher de continuer son petit commerce d’arnaques de veuves malgré la passion qu’il éprouve pour Gloria, et réciproquement. Ils travailleront alors à deux. Mais jalouse compulsive, Gloria ne supporte pas de voir son amant être dans le lit d’une autre. C’est cette jalousie incontrôlable qui emmènera cette femme au-delà de ses limites. Elle pratique l'etouffement, l'égorgement et portera des coups d'une violence rare avec cette même conviction implacable, celle de ne pas partager son amant. Mais au fond, ces femmes assassinées ne sont que le reflet de Gloria, ces femmes qui ne demandaient rien si ce n’est un peu d’amour. Tous les protagonistes du film ne sont au fond que des personnages en souffrance, certains se trouvant même une force meurtrière insoupçonnée. C’est en agissant à deux que les amoureux se muent en une sorte de bête meurtrière passionnée, comme aime à le rappeler le réalisateur.

Pour représenter au mieux la complexité de cette histoire d’amour, la caméra de Fabrice du Welz est tout ce qu'il y a de plus charnelle puisqu’elle se trouve au plus près des corps dans ce film. Le cadre est très cloisonné, à la limite de l’étouffement et illustre alors les sensations ressenties par les personnages. Avec ce cadre qui laisse les corps s’offrir à la caméra, on peut ressentir à quel point l’histoire des Tueurs de la Lune de Miel apparaît comme un récit éminemment charnel pour Fabrice du Welz qui insiste sur le côté passionné et physique de ce fait divers. Alleluia transpire l’érotisme, le sexe à chaque plan avec ces moments de fougues où les respirations se croisent bruyamment donnant lieu à des moments de sensualité intense. Pour filmer ces acteurs, Fabrice du Welz a une technique bien précise qui consiste à ne pas faire adapter ses acteurs à la caméra mais plutôt à les laisser s’exprimer comme bon leur semble. Si l’esthétique en prend un coup, l’authenticité n’en est que plus forte et les acteurs apparaissent terriblement juste : Du couple d’assassins machiavéliques à toutes ces veuves, notamment la dernière interprétée par Hélena Noguerra, la femme de Fabrice du Welz, qui trouve le ton juste et remporte toute notre empathie. Quelques élans de surréalisme font même leurs apparitions comme cette danse tout droit venue de la magie noire. Une danse pratiquée autour d’un feu, qui consume l’amour de ces deux personnages fous et amoureux. Fabrice du Welz a toujours revendiqué son amour pour Tobe Hooper et pour le célèbre Massacre à la Tronçonneuse (qui est ressorti le 29 octobre au cinéma en version restaurée), et cela se ressent tant l’aspect sale de la pellicule reprend le visuel du film de Hooper. Du Welz fait même le choix de privilégier les longs silences contemplatifs et les bruitages plutôt qu’une musique illustrative qui pouvait s’avérait lourde. Tous ces choix radicaux participent à rendre l’expérience Alleluia d’autant plus singulière qu’elle nous fera passer par différents stades d’émotions, du rire à l’effroi en passant par l’empathie pure.

Entre le film d’épouvante, la comédie musicale, le drame et l’humour grinçant, Alleluia est à la croisée de différents registres qui fonctionnent étonnamment bien. Un juste équilibre des tons qui permet de prendre de la distance sur ce fait divers, tout en captivant littéralement la réflexion du spectateur. Comme tout film de genre en France, le succès sera certainement très mince pour le nouveau film de Fabrice du Welz mais il faut reconnaître qu’il contient tout de la marque des plus grands. Pas étonnant alors que le Jury du FEFFS de cette année, présidé par Tobe Hooper en personne, ait rendue grâce à ce film en le récompensant du Prix du Jury. Un critique en ligne dira même que Alleluia est « une sorte d’épisode de Faites Entrer l’Accusé réalisé par Tobe Hooper ». Difficile de mieux qualifier le film par le biais de cette phrase. Surprenant retour au genre, réadaptation radical d’un fait divers et mise en scène des plus audacieuses, Alleluia est tout simplement un sacré film.

Créée

le 30 oct. 2014

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Kévin List

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