Alimentation générale
7.9
Alimentation générale

Documentaire de Chantal Briet (2006)

Alimentation générale par Gérard Rocher La Fête de l'Art

·


Critique remaniée le 14 octobre 2021.


Nous sommes au beau milieu d'une cité de trois mille habitants à Epinay-sur Seine en Seine-Saint-Denis. Comme dans toutes les cités de ce genre... des tours et des barres d'immeubles tristes et austères où s'entassent des familles modestes souvent nombreuses, comportant un grand nombre de nationalités. Dans ce quartier délaissé où l'on regroupe ceux que l'on ne tient pas à voir et à avoir dans les "beaux quartiers", la galerie commerciale d'autrefois est plantée là, délabrée, les vitrines des anciens commerces murées et recouvertes d'inscriptions. Néanmoins, dans cette grisaille, un petit rayon de soleil se fait jour !
En effet, de cette triste galerie commerciale, seule "l'Épicerie Générale" a survécu. Ce petit magasin tenant à peine debout est géré par un homme que je qualifierais d'exceptionnel, c'est Ali. Il fait de son magasin le point de ralliement de tout un chacun se racontant leurs drames d'hier, leurs joies et peines d'aujourd'hui. Ce sont les habitués, des gens simples, souvent démunis, les exclus de la société avec leur langage, leur philosophie et leur bon sens. ***Ali l***es écoute, les conseille et réagit à leurs sentiments du moment. C'est en fait une "famille" qui fréquente sa bonne vieille épicerie en attendant depuis des lustres les réhabilitations du quartier et la construction de son nouveau magasin.


Voici ce que j'appelle un petit chef-d'œuvre qu'il faut avoir vu absolument pour se faire une idée de ce que peut être la vie et l'ambiance des cités. On ne peut que remercier la réalisatrice de ce documentaire, Chantal Briet, pour ce magnifique témoignage. Ici, pas de violences, pas d'images "choc", pas de propos débordant de démagogie, rien de tout cela. La caméra est fixée dans cette épicerie et observe les gens, essayant de traduire leur mal de vivre, leur fatalisme et pour certains le désespoir. La confiance dans cette société privilégiant les uns et rejetant les autres a disparu et pourtant, une énorme solidarité et une immense amitié existent entre tous les habitués de ce lieu de rencontre, que l'on soit d'origine étrangère ou française.
On ne peut qu'éprouver de la tendresse pour ces gens en observant leur visage et leur regard, en écoutant leurs petits commentaires quotidiens sur l'actualité, mais aussi leurs plaisanteries et leurs chansons qui tout à coup les font rêver et s'évader de ces sinistres lieux. Pourtant, ils l'aiment leur cité pleine de courants d'air, ils se battent avec les associations de locataire pour que ces lieux évoluent. Rien n' y fait, on préfère planter des fleurs en centre ville. Les privilégiés ne le sont jamais assez.


Certaines scènes sont splendides et émouvantes au possible telle celle où "Mami" presque impotente, qui , à cause d'une panne d'ascenseur, doit franchir à pied six étages pour faire ses courses chez Ali. On la voit rentrer chez elle à petits pas, la respiration presque coupée, titubant mais hésitant à s'asseoir en passant devant un banc. Elle semble partie pour un interminable voyage. La mort de "Papi" porte un coup très dur à la petite communauté et la peine ressort sur les visages déjà marqués par le mal de vivre. Imperturbable, Ali continue à offrir avec gentillesse le café aux habitués et ceux-ci lui rendent bien en lui offrant un cadeau pour l'inauguration de son nouveau magasin après des années et des années de lutte. Dans cette cité, on détruit enfin cette ancienne galerie commerciale. On la remplace par un espace avec des gravillons orné d'un monument style contemporain...


J'ai vécu trente cinq ans dans une cité comme celle-ci, non loin du lieu où fut tourné ce film. Je ne peux qu'attester de l'exactitude de cette étude formidablement bien réalisée par Chantal Briet. J'ai connu ces gens et je me suis attaché à certains. J'ai lutté à leur côté pour un mieux vivre sans pour cela être entendu par les autorités. J'ai vécu à leur côté la discrimination, la drogue, les descentes de police et les fouilles perpétuelles. et je vous en prie, ne faites pas de généralité et récusez les discours de haine.
Ce film est plus efficace que les longs propos convenus et souvent "orientés" ou les informations tronquées et amplifiées par certains "Saint Bernard" sachant manier l'opinion et rois des solutions faciles et soi-disant radicales.
A ceux-là je dis "Allez vivre, si vous en avez le courage, rien que quelques jours dans ces quartiers déshérités et vous comprendrez peut-être, si vous êtes ouverts et sensibles à votre prochain, pourquoi certains évènements violents se sont malheureusement produits".
Il n'y a pas les bons d'un côté et les mauvais de l'autre. Il n'y a que des personnes qui ne demandent qu'à vivre en France dans la mesure où notre société les écoute et leur tende la main au lieu de leur faire continuellement sentir qu'ils viennent d'ailleurs. Merci Chantal Briet, merci à tous ces "acteurs anonymes" et enfin merci à ces bénévoles qui, sans cesse sur le terrain essayent, eux, de faire avancer les choses sans arrières pensées.
Je souhaite qu'on montre ce film dans les écoles afin que la génération à venir poursuive le dialogue, remède plus efficace, à mon sens, que la matraque.


**Ali notre sympathique épicier du petit chef-d'œuvre "Alimentation générale" de Chantal Briet est décédé fin septembre 2007 victime d'un déséquilibré. Lui qui du fond de son magasin parvenait à faire régner un brin de convivialité au milieu des barres d'Épinay sur Seine, lui qui aimait, écoutait et aidait les autres s'en est cruellement allé. Les petits cafés du matin, la poignée de bonbons pour les enfants, la musique qui réchauffe les âmes se sont éteints. Il aura donné à certains une sacrée leçon de joie de vivre, d'humilité et de tolérance, mettant ainsi en valeur le droit primordial à la différence.
Ali manque à beaucoup de monde dans sa cité mais heureusement "Alimentation Générale" est là pour nous le rappeler à notre bon souvenir.


Ce film a obtenu :



  • Le Grand Prix du Jury Documenta Festival de Madrid en 2006.

  • Prix du meilleur documentaire de long-métrage au Festival Doclisboa de Lisbonne en 2006.


Box-Office Paris: non communiqué


Ma note: 9/10

Créée

le 19 sept. 2013

Modifiée

le 16 avr. 2013

Critique lue 945 fois

24 j'aime

29 commentaires

Critique lue 945 fois

24
29

D'autres avis sur Alimentation générale

Alimentation générale
Morrinson
8

Visage collectif

Si on m'avait dit qu'un jour un sombre téléfilm documentaire sans le sou diffusé sur la chaîne Planète+ et centré sur une petite épicerie me laisserait dans un état pareil, je ne l'aurais jamais cru...

le 24 déc. 2016

13 j'aime

6

Alimentation générale
Limguela_Raume
7

Alimentation amère

Regard positif et bienveillant sur la banlieue à travers un petit commerce, dernier lien social pour une population de laissés pour compte. L’émotion, c’est pas ce que je demande à documentaire,...

le 20 déc. 2017

1 j'aime

Alimentation générale
okaidac
6

Un dernier adieu avant la préfecture

Un film mi-ennuyeux, mi-contemplatif, mi-social, mi-amateur et remi-ours derrière. Plus sérieusement, ce film est une expérience particulière parce qu’inégal. En effet, l’oeuvre ne prend vraiment de...

le 3 avr. 2024

Du même critique

Amadeus
Grard-Rocher
9

Critique de Amadeus par Gérard Rocher La Fête de l'Art

"Pardonne Mozart, pardonne à ton assassin!" C'est le cri de désespoir d'un vieil homme usé et rongé par le remords qui retentit, une triste nuit de novembre 1823 à Venise. Ce vieil homme est Antonio...

176 j'aime

68

Mulholland Drive
Grard-Rocher
9

Critique de Mulholland Drive par Gérard Rocher La Fête de l'Art

En pleine nuit sur la petite route de Mulholland Drive, située en surplomb de Los Angeles, un accident de la circulation se produit. La survivante, Rita, est une femme séduisante qui parvient à...

166 j'aime

35

Pierrot le Fou
Grard-Rocher
9

Critique de Pierrot le Fou par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Ferdinand Griffon est entré malgré lui dans le milieu bourgeois par son épouse avec laquelle il vit sans grand enthousiasme. Sa vie brusquement bascule lorsqu'il rencontre au cours d'une réception...

156 j'aime

47