Hommage en demi-teinte à Nanouk

Les films (documentaires ou de fiction) qui explorent cette région du globe, l'extrême Nord-Est sibérien tout près du cercle polaire arctique, ne sont pas légion. Kolyma: Road of Bones sorti récemment s'intéressait à une route plus au Sud, marquée par le passé des camps de travail forcé. On pense également à Dersou Ouzala et à La Lettre inachevée pour les meilleurs moments, et à 7 chants de la toundra pour la partie moins engageante du voyage. Il y a aussi les contreparties sous d'autres longitudes, du côté du grand Nord canadien, avec Atanarjuat, la légende de l'homme rapide et bien sûr le pilier de Flaherty Nanouk l'Esquimau auquel se réfère beaucoup le réalisateur bulgare Milko Lazarov ici : on reconnaît la captation de certains gestes traditionnels, reproduits dans cette fiction tournée en décor réels par des acteurs non-professionnels pour certains.


Une région où la norme tourne autour du -40°C, rien que ça. Dans ce coin unique, Ága n'a pas vraiment à forcer pour capter la beauté plastique sidérante des environs, et le format retenu pour la pellicule ne fait qu'exacerber cela. Le blanc immaculé de la neige, le bleu pur du ciel... c'est un cadre hors du commun, pourtant un peu trop esthétisé à mon goût ici par la sur-composition des cadres, dans une dimension extrêmement contemplative un peu dommage, qui gâche le potentiel immense. Le récit prend l'allure d'un conte moderne dans un coin extraordinaire, avec un parti pris esthétique très fort, mais plutôt limité, malheureusement. Un style quasi documentaire, une grande limitation dans les dialogues, le maniement de symboles un peu forts (la blessure de la femme, ulcère qu'elle soigne en cachette, la marque rouge du sang sur la neige, l'arbre et la pierre au milieu de l'immensité blanche, le blanc de la fourrure du renard, etc.) forment un tout attachant sous certains aspects, malgré de nombreuses traces de gros sabots.


Les violons en sont sans doute la partie la plus visible, déclenchés dans quelques moments dramatiques qui ne demandaient pas à être autant soulignés par la bande-son : la disparition de la femme, les retrouvailles avec la fille, avec bonus larmes, etc. L'acte final est assez inattendu mais ce n'est pas le climax émotionnel visé. On en restera donc à la photographie renversante dans des conditions extrêmes plus qu'à l'exploration culturelle du peuple iakoute, grandement limité à une autarcie autour d'une yourte avec un chien de traineau unique. Un peuple en passe d'être englouti par la modernité, à l'image de cette mine de diamants finale, magistrale plaie au milieu de la terre capturée en travelling arrière.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Aga-de-Milko-Lazarov-2018

Morrinson
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le 21 févr. 2021

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