After Yang
6.3
After Yang

Film de Kogonada (2021)

Dans un futur où androïdes et clones vivent en harmonie avec les humains pour les aider au quotidien, la panne subite de Yang, un "techno-sapiens" chargé à l'origine d'enseigner la culture chinoise à leur fille adoptive Mika et devenu depuis un membre à part entière de la famille, bouleverse la vie de Jake et Kyra. Non seulement Mika est rendue inconsolable par la disparition de son "frère" mais son absence semble peu à peu mettre en lumière le terrible manque de communication entre les parents.

Pour tenter de sauver l'androïde, Jake l'amène à un réparateur clandestin qui fait une étonnante découverte : Yang était un prototype évolué ayant la faculté d'enregistrer une fois par jour un moment qu'il jugeait parfait de son existence...

Si le générique d'ouverture de "After Yang" surprend par le ton décalé (et génial) de ce qu'il met en scène, il n'en reste pas moins très révélateur en termes de symbolique du fonctionnement de cette famille devant ici agir dans une forme de synergie forcée que seul Yang se retrouve ensuite à faire perdurer une fois l'épreuve passée à cause de son disfonctionnement. Tout est dit sur l'importance de l'androïde au sein de cette petite tribu, d'un simple accessoire d'apprentissage culturelle et domestique, Yang est devenu un des ciments qui unissait ses propriétaires au-delà de leurs problèmes intimes et relationnels. Et le trou béant laissée par sa soudaine disparition ne fait que remettre sur le devant de la scène leurs manques refoulés.

Par l'entremise du point de vue de Jake, père et mari démissionnaire au fil des années à cause d'un état dépressif manifeste, qui cherche par tous les moyens à faire réparer Yang afin de soulager la peine de sa fille, on découvre donc que l'androïde était bien plus qu'une simple machine servile, que ses capacités l'emmenaient même à transcender sa condition pour prétendre à une forme d'humanité. La découverte de sa mémoire visualisée via une mosaïque d'instants de vie précieux et sublimés tout autant par l'onirisme de la mise en scène de Kogonada que par la magnifique et délicate musique d'Aska Matsumiya (avec le concours de Ryuichi Sakamoto) va évidemment faire office d'électrochoc pour Jake. Faire de lui un spectateur de ces moments ne fait que le mettre un peu plus devant le fait qu'il était lui-même devenu un spectateur de sa propre existence mais il réalise aussi la part d'inconnu que représentait les secrets de Yang avec le vécu et ressenti personnels de ses expériences.

En articulant la suite du récit autour de trois (remarquables) conversations décisives du passé où Yang faisait exprimer métaphoriquement les doutes et failles de chacun des membres de la famille pour leur en donner sa lecture imprégnée d'une profonde philosophie, "After Yang" en fait brillamment rejaillir l'essence de chacune d'entre elles dans la découverte de la destinée de son androïde par un chemin finalement inverse à la plupart des films de SF se questionnant sur la naissance d'émotions au sein d'une intelligence artificielle (une interrogation si humaine comme le soulignera tout haut un personnage).

À travers l'exploration mélancolique de la mémoire de Yang, cette superbe fable de SF intimiste brasse avec poésie un large éventail de doutes et bouleversements inhérents à toute existence et laisse le soin à cette famille d'en tirer à son tour les conséquences en vue d'un possible renouveau dans l'épreuve. Comme les protagonistes interprétés par un casting irréprochable (mention spéciale à un immense Colin Farrell tout en retenue), la manière dont Kogonada s'attache à traduire esthétiquement la vérité d'instants simples pour mieux illustrer la portée profonde d'échanges cruciaux fait du spectateur de "After Yang" l'hôte de l'esprit d'un cinéaste à la voix magnifiquement singulière et dont on ne peut que déjà attendre avec impatience le prochain projet au vu de la grande qualité de celui-ci.

RedArrow
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le 5 juil. 2022

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