Accords et désaccords nous raconte la vie du génial Emmet Ray, guitariste de jazz manouche dans les années trente. À part jouer de la guitare, Emmet a 2 passes temps, tirer sur des rats dans une décharge et regarder les trains passer.
Ce faux biopic est si bien fait qu'on y croirait presque. Les faux témoignages de critiques musicaux qui présentent les épisodes de la vie d'Emmet donne un ton réaliste à l'oeuvre. Pas aussi documentaire néanmoins que Zelig. Accords et désaccords est avant tout une fiction, une trajectoire romanesque de son héros campé par un Sean Penn dans un de ses plus beaux rôles. Ce film porte sur ses épaules toute une tendresse nostalgique de cette époque perdu d'un jazz à ses balbutiements. On n'est pas encore à l'apogée des Duke Ellington ou des Glenn Miller dans les années 40-50.
L'époque est au son des guitares et ses airs improvisés à la Django Reinhardt, on a l'impression d'entendre tjs les mêmes musiques et pourtant elles sont différentes.
Emmet est un génie, or Woody s'y connait en génie. Le portrait ne pouvait être que réussi quand on connait toute la passion du cinéaste pour le jazz.
Mais ce film, ce n'est pas que de la musique ou une simple comédie. C'est comme tjs avec Woody Allen, une petite mosaïque de personnages qui gravitent dans des décors, qui s'aiment, s'engueulent, rient, se font plaisir, s'ennuient, ont leurs passions, leurs démons. La vie. Ce film respire la vie. Dans ce tourbillon d'émotions, Emmet-Penn est incroyable de justesse. Troublé comme pas possible pour son idole Django que cela en devient comique, un peu macho autoritaire, sensible même s'il ne le montre pas, artiste inspiré, et au fond, seul, comme il finira.
Pourtant, si les dialogues font mouches comme d'habitude, cette fois ci, c'est un personnage muet qui sort du lot. Ou muette plutôt (par traumatisme de jeunesse) Hattie, interprétée par Samantha Morton vole quasiment la vedette à Sean Penn. Ce couple improbable du bavard et de la muette contient une palette d'émotions remarquables. Jamais un personnage de Woody Allen ne m'a autant ému que Hattie et ses sourires, ses regards. On fond devant cette femme, amoureuse d'Emmet qui s'en fout un peu. La scène où il la fait monter chez lui pour lui jouer de la guitare est remarquable. 2 plans séquences d'une minute et demi, on pense qu'il va la déshabiller, première surprise c'est elle qui lui saute dessus sous notre surprise et celle d'Emmet perturbé qui n'a que "Je m'attendais à un peu plus de bagarre... C'est comme pêcher un poisson dans un bocal." Le fondu, la scène après l'amour, Emmet va jouer de la guitare en impro, Hattie, sur le seuil de la pièce à coté écoute son amant. La caméra lâche les 2 pour aller sur Hattie, son visage qui s'illumine et sa respiration plus saccadée. Elle est peut-être muette mais pas sourde, et elle reconnaît le génie. Woody Allen a tjs su filmer les femmes superbement (Diane Keaton dans Annie Hall, mon petit faible pour Charlotte Rampling dans Stardust Memories, Mia Farrow dans La rose pourpre du Caire, Scarlett dans Match point etc...).
Cette comédie dramatique est probablement un des ses meilleurs films des années 90 avec Maris et femmes en 92 ou Coups de feu sur Broadway en 94. En tout cas,ceux qui n'aiment pas le jazz (hérétiques !!!) pourront quand même aimer ce film car il pose aussi cette question du génie et de la musique en général. Nous rendons nous compte de ce que nous sacrifions pour notre art ? Accords et désaccords pose implicitement la question. Emmet laisse passer sa chance dans le film, et s'en rendra compte, trop tard, comme dans la vie. On ne sait si un choix est le bon que bien après l'avoir fait. Emmet en fera l'expérience.
Accords et désaccords, leçon de musique, leçon de vie.

ArthurGaudy
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le 15 mars 2016

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