Caché quelque part entre The Unquenchable Thirst for Beau Nerjoose, The ABCs of Death et Amazon Women on the Moon, on découvre cet étrange film allemand, ABCs of Superheroes. Semblable à un crossover entre une production Troma et une série SyFy, cette anthologie à très petit budget s'inscrit à la croisée des genres de l'horreur, de la science-fiction et de la comédie, il s'agit par conséquent d'un film susceptible de fédérer un large public, autant pour les amateurs des genres précédemment mentionnés que pour les personnes désirant s'initier au format anthologique.


Dans les faits, il s'agit clairement d'une œuvre difficilement critiquable de manière objective, tant elle suscitera soit l'enthousiasme, soit le rejet le plus total. Le film possède assurément quelques moments de comédie vraiment hilarants, ainsi que certaines séquences intéressantes dans leur discours, particulièrement celles impliquant la satire moderne, surtout en ce qui concerne les films américains qu'elles attaquent. Cependant, de nombreux détails irritants viennent également se greffer à l'expérience de visionnage, on citera notamment un humour très infantile et immature qui passe parfois difficilement, ainsi qu'une myriade d'effets spéciaux extrêmement cheap, qui auraient mieux fait de ne jamais voir le jour dans certains cas.


Dans sa forme narrative, ce film adopte une méthode déjà usitée dans de nombreuses autres productions du même format, à savoir un découpage en 26 courts-métrages de quelques minutes, chacun représentant une lettre de l'alphabet. La structure scénaristique est ici justifiée par l'histoire d'une petite fille, cherchant une bande dessinée dans un magasin. Cette BD s'avère être "The ABC of Superheroes". A mesure que la fillette parcourra le livre d'une page à l'autre, nous visionnerons les adaptations filmées des histoires du bouquin.


Le premier court-métrage donne directement le ton, en fournissant un très bon exemple de ce que ce genre de film peut offrir. Le manque de budget est ici clairement rattrapé par une inventivité hors pair, et une volonté de créer quelque chose de tellement "over the top" que cela finit par fonctionner. Toutefois, il ne faut pas attendre bien longtemps avant que limites de notre tolérance commencent à se voir testées, certaines situations présentées dans les courts suivants sont tellement étranges et absurdes que les plus réfractaires des spectateurs risquent de totalement décrocher au bout de quelques minutes seulement. Pour ceux qui auront la force de continuer l'expérience, il pourront apprécier l'esprit d'expérimentation des réalisateurs, décomposant parfois leur récit en une forme de reality show délirant, puis virant de bord pour parler de religion quelques minutes plus tard, avant d'aborder bien évidemment la question du sexe sous plusieurs angles, puis naturellement celle des rapports sociaux et de la recherche constante de popularité dans notre société moderne. Les cinéastes ont également eu la bonne idée de poser quelques fois le tempo très rapide auquel s'enchaînent les courts pour développer des histoires plus ambitieuses, en liant certains scénarios entre eux, comme par exemple, pour les lettres G et H, et J et K.


Cependant, le rythme effréné et délirant de l’ensemble ne se tasse jamais vraiment, les derniers courts de ce film en particulier présentent certaines des histoires les plus absurdes qu'on ait entendu ces dernières années, on parlera ainsi pêle-mêle d'une femme capable de faire fondre une personne en l'arrosant avec ses menstruations, d'un groupe de pandas en guerre contre le christianisme, d'une femme possédant un gigantesque pénis et contrainte d'affronter un groupe de chrétiens ultra-conservateurs, d'un robot-violeur ascendant Terminator, de "Shit Storm" un super-héros dont le nom est sans doute bien assez explicite, de Lloyd Kaufman qui présente un spectacle appelé Sex, Mayhem et Murder à des enfants enthousiastes, ou encore d'un homme capable de voyager à travers des bandes de films VHS. Prenons l'exemple de ce dernier court pour parler d'un concept qui fonctionne. L'histoire de ce bonhomme traversant des cassettes vidéo dans le but de sauver sa fille est tout bonnement géniale, sur toute la ligne. Elle démontre surtout la capacité qu'ont les cinéastes à proposer quelque chose de plus malin que les saynètes volontairement choquantes ou offensantes qui constituent la majeure partie du récit, et qu'au-delà de son aspect bruyant et enfantin, ce film a été réalisé avec beaucoup de passion et d'imagination.


Bref, inutile de parler plus en long des courts en eux-mêmes, concentrons-nous plutôt sur ce qui fait l'essence de ce film, soit sa volonté de proposer une expérience fougueuse et amusante, les cinéastes sont clairement partis avec l'intention d'offrir au spectateur un film impossible à produire selon les standards d'Hollywood, et peut-être même selon ceux des films indépendants. Ce genre de production contribue à donner un bon coup de fouet au monde du cinéma indé à faible budget. Outre les considérations habituelles consistant à définir s'il s'agit d'un mauvais ou d'un bon film, on pourra simplement se réjouir de voir le travail abattu par un petit groupe de passionnés ayant l'audace de sortir une œuvre clairement destinée à diviser le public, tout en sachant pertinemment qu'ils courront le risque de subir le courroux des spectateurs peu réceptifs à leur délire. On se trouve clairement en présence d'un film qui ne laissera personne indifférent, et finalement, n'est-ce pas pour cela que nous allons au cinéma? Un film capable de contester notre propre considération de la "normalité" demande un certain effort pour être apprécié à sa juste valeur, même s'il s'agit d'une œuvre totalement absurde.


De ce point de vue, ce film possède un certain feeling "Troma-esque". Pas uniquement grâce à la présence de Lloyd Kaufman dans le casting, mais aussi de par son esprit général, en faisant un objet totalement hors des conventions, où le sang et la nudité abondent et s’affichent sans complexe aux côtés d'effets spéciaux de qualité souvent médiocre, de performances d’acteurs douteuses et surtout d'un sens de l’humour unique et inimitable. Le tout se combine comme dans les meilleurs films Troma, pour un résultat final hilarant et totalement barré.


Les habitués de ce genre de formats pourront également noter une certaine unité stylistique de l’ensemble de l’œuvre. Bien que l’on remarque de petites variations à travers chacun des différents courts, ils possèdent tous un style et un ton très semblables, cela s’explique par la présence d’une seule paire scénariste/réalisateur pour l’ensemble des 26 segments, contrairement à la pratique habituelle consistant à confier chaque court-métrage à un cinéaste bien distinct. Une autre particularité assez inhabituelle de ce film se révèle être qu’il a été tourné en Allemagne avec de nombreux acteurs allemands ou non-anglophones de naissance, mais presque entièrement en langue anglaise. La prononciation de certains acteurs se révèle par conséquent très déconcertante, mais ajoute une petite touche encore plus nanardesque à l'humour du film.


En parlant de ça, non, il ne s’agit en aucun cas d’un nanar, car tout ce que nous voyons à l’écran est réfléchi et calculé dans les moindres détails, pour tenter de définir ce film, on pourrait plus facilement penser à une sorte d’amalgame insensé, dépravé, engourdissant l'esprit et la sensibilité par une overdose d’histoires courtes qui flirtent sans cesse avec la limite de l’offense intellectuelle. Chaque personnalité traduira ce qu’il verra à l’écran d’une manière différente, mais s’il y a bien un point sur lequel tout le monde s’accordera, c’est que les cinéastes responsables de cet étrange objet ont réussi à aller exactement où ils voulaient, et à pousser leur délire aussi loin qu’il était humainement possible, pour le meilleur et pour le pire.


Car oui, même pour un amateur de productions signées par des boîtes telles que Toetag ou Vinegar, soit des films essentiellement réalisés dans un mauvais goût certain, de nombreux passages d’ABCs of Superheroes se laissent difficilement visionner sans laisser une forte sensation d’excréments dans la bouche, autrement dit, on pourra tout à fait considérer ce film comme une immense bouse infâme, mais il serait toutefois injuste de l’ignorer totalement, tant il peut se révéler susceptible de déclencher l’hilarité, ou de susciter la stupeur à tout moment, particulièrement lorsqu’on ne l’attend pas; En y réfléchissant, il s’agit plus d’un test d'endurance mentale que d’une simple expérience juvénile et ludique. En effet, s'exposer à de tels niveaux de perversion et de dépravation visuelle met certainement à l'épreuve notre propre seuil de tolérance à l’absurde, chaque nouveau court poussant le bouchon encore plus loin, vers de nouveaux sommets insoupçonnés.


Sur-ce, essayons de résumer ce film dans les grandes lignes, avec une métaphore de circonstance: Imaginez Uwe Boll dans le rôle d’un clown dépravé, contraint d'effectuer un test de sobriété en marchant sur une ligne droite, qui représenterait la limite entre la qualité et le mauvais goût, tout en transportant une femme en sous-vêtements, le tout sous la surveillance d’un officier de police, joué par Lloyd Kaufman, qui serait à moitié nu lui aussi. Ridicule? Absurde? Certainement, mais cela ne suffit même pas à décrire la moitié du quart de ce que représente ce film. Toutefois, ces quelques lignes pourront peut-être vous fournir un indice pour tenter d’appréhender l’esprit animant le travail de Jens Holzheuer et Oliver Tietgen, s’exprimant aujourd’hui avec ce film, qui non seulement célèbre l'absurde, le perverti et l'imbécile, mais le fait en s’en délectant joyeusement, pour notre plus grand malheur, ou bonheur, question de perspective.

Schwitz
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le 13 mai 2017

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