Ce film rarement montré occupe une place difficile dans la filmographie de Nicholas Ray, entre Johnny Guitare (1954) et La fureur de vivre (1955) deux œuvres phares et cultes du cinéaste. Une mélodie avec voix virile accompagne le générique de début, rappelant l’introduction de L’ange des maudits du monument qu’est Fritz Lang. Sans être des spécialistes, Ray comme Lang ont contribué à la légende du western classique hollywoodien.


Run for cover (titre original) échappe au classique triangle amoureux, avec Matt Dow (James Cagney), Davey Bishop (John Derek) et Helga (Viveca Lindfors), les deux hommes n’étant pas en concurrence pour l’amour de la femme. La raison principale est la différence de générations, Davey n’ayant que 20 ans. Matt est un homme mûr qui, apparemment, cherche à s’établir dans un coin où il pourrait envisager de passer ses vieux jours. Avant de venir en ville, il fait désaltérer son cheval dans un cours d’eau qui longe la voie ferrée (le symbole de l’avancée de la civilisation dans la direction de l’ouest). Irruption du jeune et impétueux Davey à qui Matt donne une leçon impromptue de maîtrise de soi pour un solitaire. Étrangement, on a ensuite droit à une série de situations à caractère humoristique qui feront long feu, car le film va tourner au drame. En effet, à la suite d’un concours de circonstances, Matt et Davey se retrouvent à la tête d’une belle somme (les payes des hommes de la ville). La naïveté de leur comportement (si ça passe pour Davey, cela manque singulièrement de crédibilité pour Matt), les fait prendre pour des malfaiteurs et ils sont traités en conséquence.


Après avoir évité de justesse un lynchage expéditif, voilà Matt engagé comme shérif de la ville, avec Davey comme adjoint. Ce dernier est tout juste rétabli, l’arrivée en ville lui ayant valu une arrestation mouvementée dont il garde des séquelles physiques. Il est hébergé dans la demeure d’un émigré suédois qui y vit avec sa fille. C’est là que les relations se nouent, Helga veille sur Davey comme une mère, Matt se comporte comme un père vis-à-vis de Davey (on apprend que, 10 ans auparavant, Matt a perdu un fils) et l’attirance entre Matt et Helga émerge au grand dam du père de celle-ci. Si elle n’a pas le charisme de certaines vedettes féminines de l’époque, Viveca Lindfors donne du caractère à son personnage. Petite pointe d’humour quand son père fait remarquer à Helga, qu’au pays, les enfants ne disent pas à leurs parents ce qu’ils doivent faire et qu’elle répond du tac-au-tac.


Le titre français n’est pas une réussite, puisqu’il entretient la confusion avec La colline des potences autre western (Delmer Daves - 1959). De plus, si on voit quelques gibiers de potence dans le film et que certains personnages en soient menacés, on ne voit pas l’ombre d’une potence.


James Cagney en futur retraité à la recherche d’un coin tranquille rend bizarrement, surtout qu’on le voit verser dans l’honnêteté scrupuleuse, la gentillesse, la bonhomie paternelle, etc. Évidemment, tout cela est contrebalancé par ce qu’on finit par apprendre sur le passé de Matt. On ne saura jamais si, longtemps auparavant, il est allé jusqu’à écraser un demi-pamplemousse sur le visage d’une blonde platine. C’est peut-être injuste, mais Cagney a du mal ici à faire oublier la série de gangsters cyniques de sa filmographie passée. Heureusement, il passe déjà beaucoup mieux en cowboy capable de labourer un champ ou d’assumer la fonction de shérif.


Voir ce film avec du recul permet une autre lecture gentiment ironique, puisque le personnage auquel Matt s’oppose s’appelle Gentry (la gentry, ce sont les classes « supérieures » pour les anglo-saxons). C’est assez cocasse d’observer Matt « lutter contre la gentrification » sachant quel phénomène on désigne actuellement par ce terme. Dans les grandes villes, la réhabilitation de sites historiques fait monter le prix du mètre-carré dans les beaux quartiers centraux, faisant fuir les plus démunis vers les périphéries alors que les plus aisés s’installent en hyper-centre. Dans le film, Gentry est un gangster que Matt combat pour assurer l’ordre et s’installer dans une ville pacifiée.


La relation entre Matt et Davey est au centre du film, Davey sentant parfaitement que Matt trouve en lui un fils de substitution à qui il voudrait éviter les erreurs de jeunesse. Matt ira jusqu’à le rudoyer après l’accident qui l’a estropié. En gros, il lui dit sans ménagement « Lève-toi et marche ! ». La tendresse de Matt pour Davey ira jusqu’à proclamer que celui-ci a assuré, en dépit d’erreurs s’enchainant fatalement.


Si les retournements de situation maintiennent l’intérêt, le film n’atteint jamais les sommets des meilleures œuvres de Nicholas Ray (ajoutons Les amants de la nuit aux deux cités précédemment), malgré de beaux extérieurs bien rendus par le Technicolor. Plutôt classique, l’histoire d’amour entre Matt et Helga vaut surtout pour la réticence du père et les allusions à ce qui se pratiquait en Suède. L’origine suédoise de Viveca Lindfors, soigneuse attentive, n’est finalement qu’un souci de crédibilité peu marquant.

Electron
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le 10 juil. 2015

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