Les Français ont décidément un énorme problème avec le baptême des titres originaux : tandis que l'on s'est échiné à nommer ce film magistral A cœur battant, le titre original The End of love était des milliers de fois plus parlant et plus profond. Cet excellent film n'a en effet aucun rapport avec un coeur qui battrait, ou avec une sorte de romance insupportable traditionnellement sous-entendue par ce genre de titres qui rendraient Harlequin presque jaloux tant il est niais. Non, c'est bien la fin de l'amour le thème central de ce film dans toute sa complexité, sa cruauté et paradoxalement sa beauté. Le spectateur suit, d'abord un peu stupéfait, puis ensuite tout à fait médusé, la trajectoire d'un couple franco-israélien habitant à Paris avec leur tout nouveau né. Tandis que Yuval retourne en Israël où il se retrouve coincé à cause d'une sombre histoire de visa non renouvelé pour un temps indéterminé, Julie reste à Paris, seule avec son fils, devant faire face à son travail et à sa vie de jeune mère. Petit à petit, l'amour fulminant qui unit les deux jeunes trentenaires semble petit à petit se consumer dans les affres de la distance, des sonneries sans fin auxquelles il n'y a aucune réponse, des malaises existentiels d'un couple d'étrangers, des culs de sac professionnels et de la force des identités. Face à une identité juive en reconstruction, fortement traditionnaliste et familiale, une identité française urbaine, moderne, peu familiale et individualiste voire légèrement névrosée. Entre eux, un enfant et des centaines de kilomètres mal compensés par les nouvelles technologies.


Le format du film n'est pas fondamentalement nouveau. Les films d'horreur en avaient fait un style de prédilection et il est vrai que rarement les films d'auteur ne s'en étaient emparés avec autant de virtuosité. Une fois passé un certain sentiment d'incompréhension, et aussi abstraction faite de quelques scènes un peu artificielles (et poussives) qui ne peuvent pas ne pas exister dans une telle œuvre, cette idée d'un film uniquement basé sur les appels à distance qui s'inscrit parfaitement dans un monde en demi-confinement permanent, est absolument efficace. Le spectateur passe d'une certaine sensation d'idylle à celui du malaise, voire de l'anxiété dégagée par la sonnerie étrange de ces appels qui sont de plus en plus courts, de plus en plus frustres, de plus en plus tristes. Ces personnages qui évoluent chacun d'une manière différente et peu à peu, voient leurs espérances brisées et leurs amours mourir explosent dans des scènes d'une cruauté terrible, dans ce contraste atroce entre l'irréparable du désamour et l'apothéose de leurs amours passés. Keren Ben Rafael signe ici un film qui fera date car il a sans doute perçu quelque chose de l'amour contemporain, et de l'éternité des destinées croisées puis brisées : un coup de coeur!

PaulStaes
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le 3 oct. 2020

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Paul Staes

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