Dans une Italie du sud rayonnante, un groupe de (plus ou moins) jeunes s’aventure dans les contrées pittoresques de la Calabre, berceau tristement connu de l’une des plus grandes mafias italiennes. Le road-trip de covoiturage ne se passera pas comme prévu, et le sympathique trajet escompté se transformera en un doux cauchemar aux allures sectaires, sur fond de société secrète ancestrale et tout ce qui s’ensuit.


Dès lors que l’on veut émettre quelconque avis que ce soit sur A Classic Horror Story, on ne peut qu’admettre que le film est totalement honnête. D’emblée, le nom même du film indique la direction qu’il compte prendre, ne laissant au spectateur pas la moindre surprise quant au déroulement du film. Les plus grands stéréotypes de l’horreur coexistent en une seule et même pâte grotesque, expulsant de cette biomasse horrifique tout élément qui serait un peu trop original pour le genre. Les grandes figures actancielles du cinéma d’horreur sont parfaitement représentées, sous des traits d’autant plus exagérés. Ce roster de victimes incapables constitue le régiment idéal de viande fraîche à dépecer : le petit gros loser, tête de turc de ses compères, filmant sans cesse les pérégrinations de la bande, le connard blond effronté qui ne respecte rien ni personne et qui ne parle qu’anglais, sa petite amie suffisante qui accepterait tous les vices de la terre que ce dernier entreprendrait, le vieux con mystérieux et grabataire qui pète les plombs à la première occasion, et, pour finir en beauté, la chialeuse brune un peu prude qui passe plus de temps avec les larmes aux yeux et la voix tremblante qu’un bambin ayant fait tombé son jambon-beurre sur le sol de la déchetterie du coin. Ces joyeux lurons voient donc leur gaieté et leur insouciance être brutalement interrompues par la jolie tronche pleine d’éthanol de notre bon ami anglais, qui, faute d’une bonne nuit de sommeil réparatrice, pique du nez comme s’il s’était enquillé la totalité des réserves d’alcool du Super Bowl. C’est ainsi qu’intervient le loser en surpoids : en tentant d’éviter de tuer une deuxième fois un chamois (ou ce qui s’en rapproche) déjà mort en plein milieu de la route, sa prise de contrôle foireuse du véhicule envoie tout ce joli monde paître dans le premier arbre venu. Étourdis par le choc, nos compères passent une belle nuit sous les étoiles riant de leur malheur. À leur réveil, ils se retrouvent perdus dans une clairière esseulée au beau milieu d’une forêt dense, avec pour seul rappel à la civilisation une vieille maison à l’architecture singulière n’augurant rien de bien heureux.


Mais assez tirer sur l’ambulance déjà bien entamée, car c’est exactement ce que veut le film. Ici, il n’est pas question d’emmener le spectateur vers des intrigues complexes ou des rebondissements inattendus. Pastiche du genre horrifique, A Classic Horror Story agit presque comme une parodie du cinéma d’horreur en se tenant exclusivement à des éléments vus et revus. En ce sens, le film s’efforce de rendre compte d’un ersatz intertextuel de la mise en scène d’horreur la plus banale et la moins originale possible. Et c’est en poursuivant l’expérience que les véritables intentions de l’œuvre prennent sens. Car même sous couverture parodique, la réalisation du film n’en est en rien entachée ou bâclée, bien au contraire. Certains plans larges sont grandioses, relevant d’une technique réellement maîtrisée et participant à l’instauration d’une ambiance pesante, à la limite du mystique, auxquels viennent s’adjoindre un travail des décors et de la photographie de qualité. Dans son infinie platitude scénaristique assumée, le traitement visuel du film offre des perspectives horrifiques élaborées venant sous-tendre une toile graphique spectaculaire et immersive. Mais outre le traitement de l’image réussi, le pan scénaristique dévie finalement de sa trajectoire pour s’engager vers une mise en abîme surprenante. Le contenu parodique jusqu’alors insipide devient un prétexte synoptique au dévoilement d’une seconde lecture du film. Les rôles transmutent, et les questionnements jusqu’ici irrésolus trouvent un semblant de réponses. Le dénouement démystifie bien des aspects mais en assombrit d’autres, ne laissant que des bribes de suppositions en tout genre.


Enfin, n’oublions pas d’évoquer le fond quasi mythologique sur lequel vient s’enchâsser l’histoire du film dans le film. Il est bien rare d’être confronté à des œuvres traitant du folklore italien, en particulier quand il s’agit du bas de la botte, encerclée par les mers Ionienne, Adriatique et Tyrrhénienne. La façon dont les origines de la mafia calabraise, la ‘Ndrangheta, mentionnée une seule et unique fois durant le film, sont mises en scène et judicieuse. En effet, la légende veut que trois cavaliers espagnols du XVe siècle ayant fui le pays se soient réfugiés sur les terres insulaires de Favignana, au large de la Sicile. Plusieurs décennies s’écoulèrent, durant lesquelles ils auraient instauré les fondements mêmes de leur organisation secrète, sorte de coterie immémoriale aux relents cabalistiques constituant la première forme de proto-mafia attestée, après quoi ils se seraient divisés dans toute l’Italie méridionale dans le but d’étendre l’influence de leur coalition fraîchement créée, menant par la suite à la formation des mafias modernes, soit la Cosa Nostra sicilienne, la ‘Ndrangheta calabraise et la Camorra campanienne. À travers ce matériau entremêlant Histoire et légende, le film mythologise ces figures précurseurs en des créatures d’outre-monde dont les origines brumeuses bonifient le mysticisme de leur façonnement, devenant des entités théogoniques incantatrices de sombres retombées pour qui ne les déifieraient pas. L’exploitation d’un filon folklorique peu connu aux côtés d’une mise en scène soignée favorise l’émergence d’une bouffée d’air frais dans le cinéma d’horreur habituel. Le légendaire de la mafia, bien qu’ostentatoirement romancé, semble respecté, en témoigne l’une des scènes finales typiquement représentatrice de l’esprit familial sudiste, fortifiée par la voix chantante de l’enfant calabrais, qui interprète avec magnificence un cantique dans sa langue maternelle. Force est de constater que le film s’efforce de fournir un portrait aussi fidèle que possible de la tradition calabraise, combinant terreau familial, croyances occultes et pasta al pomodoro.

LuBu
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le 30 avr. 2023

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Lu Bu

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