Sujet presque intraitable s’il y en a, filmer la jeunesse d’un œil nouveau et avec finesse serait un très bon candidat. Pourtant, il existe des œuvres qui, avec la rigueur du documentaire et la beauté des meilleures fictions, parviennent à atteindre cet idéal. Et c’est le cas de Mid 90s.

À Los Angeles dans les années 90s, Stevie, un jeune garçon de 13 ans, fuit sa famille turbulente pour se tenir avec des amis qu'il a rencontrés dans un magasin de skate. Il se retrouve dans un monde de plaisir, de danger et d'excitation.

Une perfection formelle

La première chose qui frappe dans ce long-métrage est son incroyable beauté. Dès le premier plan, le format 1,33:1 interpelle, et l’utilisation de la Kodak Vision 3, me rappelant l’esthétique de Paranoid Park, appuie d’autant plus cette impression. Bien que Jonah Hill et son directeur de la photo Chris Blauvelt n’utilisent qu’un seul objectif de 16mm, la sensation d’enfermement donnée par l’image est omniprésente. Enfermement parce que Stevie, a l’instar de tous les autres personnages du film, sont tous prisonniers de leur histoire.

Tout le travail sur la lumière contribue aussi à donner à Mid 90s ce cachet naturaliste qui fait son charme, en plus de souligner à merveille la nostalgie du souvenir. Même en terme de décors, le film ne s’embête jamais de trop de détails, pour se concentrer sur ce qui compte, renforçant son aspect presque documentaire.

L’efficace simplicité d’écriture

Mid 90s profite aussi d’un scénario précis aux mécaniques implacables. Jonah Hill prouve qu’il a assimilé les techniques d’écritures classiques autant que les codes d’un genre pour pouvoir s’amuser avec, sans pour autant trop s’en éloigner. Ainsi, son film est d’une cohérence sans faille tant il parvient à suivre son fil conducteur tout du long, tout en en extirpant toute la substance.

Le film donne vie à une ribambelle de personnages qui, en un temps parfois record, atteignent une caractérisation d’une précision et d’une efficacité chirurgicale. Tous ces portraits profitent à rendre le tableau final encore plus réaliste et abouti. Stevie est un jeune protagoniste comme rarement en sont portés à l’écran, fin, subtil et pleins de contradictions ; un gosse angélique mais influençable qui, comme tout le monde, cherche simplement à trouver sa place.

Le souffle de l’adolescence

Si Mid 90s est aussi touchant, c’est parce qu’il parvient à créer entre le spectateur et Stevie une relation de premier ordre. Le film se place à hauteur d’enfant, et présente un drame profondément intimiste à travers un point de vue ô combien respecté pendant l’entièreté du long-métrage. D’abord, il commence par nous présenter ce garçon. Le regard curieux et le sourire d’un ange, il n’a rien de l’adolescent. Mais il cherche à le devenir. Et pour cela, il apprend. Cet apprentissage passe alors par l’observation de ses aînés, pour lesquels il voue naturellement une admiration sans borne (qui, dans le film, se limite à des « he is so cool », qui veut toutefois dire beaucoup).

On peut alors observer la naïveté de ces enfants qui essayent d’agir comme des grands. En naissent des scènes drôles et touchantes car tous s’y reconnaissent un peu dedans. Stevie apprend à devenir un mauvais garçon, ou un adolescent normal, mais le fait sans arrière-pensée, et avec toujours ce même grand sourire. Mais à travers des dialogues au vocabulaire limité, peut être perçue entre les lignes toute la violence du quotidien des personnages.

Chaque personnages secondaires illustrent alors une idée, tout en lui donnant vie. Ray, lui qui paraissait être un leader grandiloquent au début, s’avère être un pauvre gosse altruiste des bas quartiers qui veut tout faire pour sortir d’ici. Fuckshit est son opposé : il ne se souci de rien d’autre que de s’éclater et de profiter de sa jeunesse, alors que Fourth grade pallie son manque de confiance en lui en se cachant derrière sa caméra. Ils viennent donc apporter encore plus de richesse et de profondeur au traitement du thème principal du long-métrage, à savoir l’existentielle lutte de l’adolescence.

La violence d’une condition

Puisque Jonah Hill est définitivement un cinéaste de talent, il place exactement au milieu de son film sa séquence charnière : la scène où Stevie joue avec son frère à la console. Outre son apparente simplicité (à l’image du reste du film), cette séquence montre la bascule du personnage. La deuxième partie sera celle de la transformation. Stevie, qui a sûrement dû retenir étouffé en lui trop de cris depuis sa plus tendre enfance, vrille lentement mais sûrement vers ses modèles qu’il chérie tant. Drogue, alcool et sexe (si on y pense bien, on frôle presque la pédocriminalité, ce qui souligne bien l’extrémité de ce revirement) viennent remplacer les occupations normales d’un enfant de 12 ans.

Il décide de ne plus s’écraser face à sa mère, et face à son frère qui le bat depuis le début du film. En découle des scènes d’une intensité qui jurent comparées à la tranquillité du reste de l’œuvre (autre preuve que son réalisateur maîtrise la gestion de ses temps forts). Mais le cinéaste nous donne tout de même les clefs pour comprendre ces personnages et leurs agissements. Dans Mid 90s, rien n’est jamais gratuit, et ça, c’est bien.

Ainsi, le film prend des proportions insoupçonnées. Alors que sa première partie crée l’empathie chez le spectateur, la seconde vient le suspendre par les pieds au-dessus du vide ; et ce, sans prévenir. Toute la bonne humeur qui se dégageait de l’œuvre a désormais laissé place à un nuage de négativité, de toxicité, de non-dits et d’auto-mutilation. Jusqu’à la scène de l’accident, qui finit complètement de rompre avec les premières séquences du film.

Ainsi, comme les personnages, nous avons changé, le temps du visionnage.

Créée

le 17 déc. 2022

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