7:35 de la mañana
7.5
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Court-métrage de Nacho Vigalondo (2003)

L'anathème qui me tient loin de tes bras

Le premier court-métrage de Vigalondo, et à mon avis son meilleur jusque-là. Assez court (6 min), il est disponible, par exemple, sur Youtube, donc n'hésitez-pas à aller le voir. Ma critique comporte nécessairement des spoilers (difficile de faire autrement), donc regardez ce court et finissez plutôt cette lecture après (si le coeur vous en dit).

Ce court, donc, commence la thématique très présente dans l'oeuvre de Vigalondo sur la difficulté de communiquer et la peur de l'autre. Dans ce cas précis (tomber amoureux d'une inconnue), il s'agit en fait d'une peur à la fois réciproque, mais de nature différente: peur de déranger pour l'un, peur de l'agression pour l'autre.

Ces peurs sont ici exacerbées dans la nature-même des personnages. Le chanteur ne peut s'adresser à la femme : il doit transcrire ses propos par 3 medias. De la pensée à l'écrit d'abord, puis de l'écrit à la voix des membres du café, et enfin de ces voix à la femme, objet de son désir. La femme, de son côté, est quasiment muette. C'est également la seule à ne pas chanter, avec la police (donc le symbole de la force), à la fin. Difficulté à s'exprimer d'un côté, volonté de coercition de l'autre. Le résultat peut sembler clair, et pourtant Vigalondo le renverse complètement : c'est l'Homme qui, bien que bénéficiant de notre sympathie au départ, s'avère menaçant. Ce thème de la force contre la peur sera justement repris dans Choque, son court-métrage suivant; où le protagoniste, effrayé de perdre sa place privilégiée auprès de sa copine, va monter dans une démonstration de force (ridicule).

En restreignant la communication à la seule expression correcte de sa pensée, le chanteur se place dans une pure position lacanienne : ce qu'il ne désire n'est pas la femme, mais bien la projection de cette femme dans son esprit. En termes lacaniens, l'objet petit a plutôt que le grand Autre. Pour reprendre une de ses formules célèbres : il n'y a pas d'Autre de l'Autre. Zizek dira : "Il n'y pas de relation sexuelle". En cela, la figure du chanteur est celle du nevrosée : il incarne sa jouissance impossible dans cette relation à cette femme qu'il observe chaque jour. Alors le sens-même qu'il donne à sa vie est le désir de cette femme. Le désir, et non pas la possession. En réalité, posséder cette femme lui est même impossible, ce qui explique son geste presque naturel à la fin du film. Le symbole des confettis est là pour appuyer l'effet : comme dans les opéras wagnériens, la vraie jouissance du sujet est dans son agonie, son liebestod; car l'impossibilité de l'amour est gravée dans l'existence du personnage, elle lui est consubstantielle.

Les personnages, autour, ne sont que des pions, une forme de corps sans organes, pour emprunter l'expression à Deleuze. Cela se remarque bien par le fait qu'ils aient le message comme imprimé, gravé, sur leur propre corps. C'est au premier déraillement de ce mécanisme (l'hésitation du jeune garçon), que le scénario qui serait idéal, la réconciliation d'un amour impossible (la jeune femme semble commencer à être charmée un instant avant), retombe dans son impossibilité. C'est le même grain de sable que l'insulte de Tybalt à Roméo, point noir qui n'aurait pas du exister, et qui enclenche la tragédie.

La femme, elle, est dans la position typique du rêve, et plus typiquement du cauchemar. D'abord, elle se retrouve dans un monde qui lui est à la fois très familier (le café) et complètement étranger (un orchestre, un chanteur, etc..). Ensuite, elle n'arrive pas à communiquer, bien qu'on la voit à plusieurs reprises faire des mouvements de lèvres, sinon à une non-existence (à double titre, elle parle par le biais de son téléphone à quelqu'un qui n'est pas physiquement présent, et elle s'adresse non pas à une personne, mais à une institution). Enfin, ses gestes lui échappent : le téléphone lui glisse des mains et s'écrase lourdement par terre. Le paradoxe est qu'à la fin, ce n'est pas elle qui parvient à sortir du rêve, mais le rêve lui même (symbolisé par le chanteur) qui s'échappe. La scène finale, on nous la voyons couverte des confettis, montre bien qu'elle reste donc empêtrée dans ce rêve, et qu'elle ne pourra plus en sortir.

La fin marque donc un dernier renversement. Au lieu que ce soit la femme qui, comme elle l'escomptait en appelant la police, jouisse de punir l'homme (ou du moins d'apaiser sa peur d'être agressée), et que l'homme souffre de ne pouvoir exprimer son amour et de ne vivre fusionnellement avec la femme qu'il désire; c'est l'homme qui jouit de son liebestod, et la femme qui souffre d'être coincée dans un drame dont elle ne peut plus être l'actrice. Dans un classique de l'opéra, l'autre se suicide également. Ici, la fin est ouverte, mais il est possible que ce soit une alternative que Vigalondo puisse nous suggérer. Le fait que le court soit musical n'y est probablement pas étranger non plus.

Je conclus donc en vous encourageant, si vous ne l'avez pas encore fait, de voir ce court ainsi que les autres oeuvres de l'auteur, qui symbolise à mes yeux une relève extrêmement prometteuse du cinéma espagnol.
xram
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le 1 mai 2011

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Sergeï Kolarov

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