Il y a les jeunes et puis il y a les anciens.
Il y a ceux qui commencent leur carrière et ceux qui la terminent.
Jeux de regards entre les deux générations. Chacun observe la situation de l’autre et se projette.
Forcément on s’interroge.
Comment finirais-je moi qui commence ?
Ai-je fait ce qu’il fallait quand j’ai commencé, moi qui finis ?
Et « 5ème set » se pose là au milieu de tout ça.


Étonnamment Quentin Reynaud, l’auteur de ce film, n’est pas un auteur en fin de carrière.
Au contraire, au moment de tourner ce film il n’avait que 37 ans et c’était seulement son deuxième long-métrage.
Et pourtant son film parle d’un homme en bout de course.
Thomas Edison – son héros – arrive à la fin de sa carrière. Il était un espoir et puis a connu un long tunnel. Un très long tunnel jusqu’à la fin. Une fin qu’impose la loi inflexible de l’âge. Une fin que dicte un corps poussé à bout.
Les questions forcément se posent.
Les questions sur « les raisons de… »
Les questions sur la pertinence à s’obstiner.
Les questions sur le « à quoi bon… »
…Et pourtant Thomas Edison dans ce film a 37 ans, soit l’âge de l’auteur.
En somme Quentin Reynaud aborde ici cet instant de vie comme une charnière.
Une croisée des chemins.
Or c’est là que se trouve l’un des grands intérêts de ce film.


« L’un des grands intérêts » dis-je car, dans les faits, « 5ème set » sait aussi faire valoir bien d’autres qualités.
Dès les premiers plans, Reynaud nous renvoie à l’élégance de sa technique.
Technique plastique tout d’abord avec un cadre métrique et un vrai sens de la mise en scène de son sujet, que ce soit par les couleurs ou bien encore la (dé)composition du mouvement.
…Mais technique narrative aussi. Il suffit d’un ralenti pour comprendre l’intensité et l’importance d’un lancé ; une balle qui tournoie en l’air pour y lire « Roland Garros » ; puis la marche d’un homme au visage usé qui vient faire une IRM de son genou avec un sac de tennis sur le dos et des chaussettes roussies par la terre battue.
Pas un mot et déjà beaucoup de choses sont dites.
Pour ma part, c’est comme ça qu’un film parvient au mieux à me faire la cour…
…ou plutôt devrais-je dire « le court ».


Car le héros central reste bien le court dans ce film.
Un court qui opprime les corps, tourne les têtes, malmène les familles.
On l’adule alors qu’il maltraite.
Il laisse des cicatrices et pourtant on veut l’embrasser à nouveau.
Il y a presque dans cette image du court l’idée d’une projection de l’ego.
Pas certain que Reynaud ait vraiment pris conscience d’à quel point son film questionne le mal de notre époque – l’hypertrophie de l’ego dans nos parcours de vie – mais à explorer avec sincérité et exhaustivité les turpitudes de son héros, il parvient malgré tout (et peut-être malgré lui) à fournir un portrait habile de son temps.


Parce qu’au fond le bon Thomas n’est ni héros, ni anti-héros.
Il est juste présenté comme le produit d’une situation donnée.


Thomas est avant tout le produit d’une mère fan de tennis qui a cru en lui mais qui l’a peut-être broyé ; transformant cette quête égotique pour la réussite de Thomas en quelque-chose de plus complexe… Réussir c’est aussi se réconcilier. Se battre c’est aussi préserver une relation passée qu’on n’a pas voulu vaine.
Mais Thomas est aussi le produit d’une épouse aimante qui a su l’accompagner, à ses dépends. Elle, elle est passée à autre chose. Elle a dû assumer les conséquences de sa grossesse comme d’autres doivent affronter une opération du genou. Elle a fait le choix d’une autre alternative. Un questionnement différent. Une autre manière d’appréhender ceux qui vivent au travers de « projets de vie ».
Et puis il y a l’enfant, ou plutôt les enfants qui structurent aussi l’existence de Thomas. Son propre gosse qui l’adule. Son apprenti qui le questionne sur le passé et sur l’avenir. Et puis il y a ce jeune gamin de dix-sept ans qui appelle à conscientiser la fin d’un cycle…


…En fait, à bien y réfléchir, Thomas a le choix sans l’avoir.
Il a certes des alternatives qui s’offrent à lui, mais au final il restera toujours le même homme. Un homme qui a consacré sa vie au court.
Un homme qui n’a que ça et ne sera d’ailleurs jamais vu autrement qu’à travers ça.


Et c’est peut-être là que se trouverait et la limite et la force de ce « 5ème set ».
Limite d’abord car un film comme celui-ci ne peut que nous amener à interroger sur son propos et sa finalité.
Quand bien même explore-t-il toutes les facettes de ce culte de l’ego que ce film ne peut s’empêcher de magnifier ce combat autodestructeur.
Cet homme a beau souffrir et faire souffrir tout le monde autour de lui que néanmoins sa détermination fascine ; que son auto-lacération au service de la cause du court devient à travers la caméra de Quentin Reynaud quelque-chose de beau.
(Et doit-on s’en étonner de la part d’un jeune auteur issu d’un milieu privilégié qui, dès le plus jeune âge, s’est vu offrir la possibilité de jouer au tennis, à l’acteur mais aussi au producteur ?)


Seulement c’est aussi une force que je ne peux nier d’un autre côté : oui ce film est beau.
Et même si parfois Reynaud s’abandonne à de la caméra au poing qui, moi, me laissera toujours pensif sur la réalité de sa pertinence, il faut néanmoins bien lui reconnaitre qu’en retour les matchs sont particulièrement bien retranscris.
Qu’il s’agisse du goût du détail, de la sublimation des outils et des lieux, ou bien du rythme et de la tension d’une partie, Reynaud fait le boulot.
Et l’air de rien c’était une partie délicate qu’il fallait savoir jouer.
Car n’oublions pas que la Fédé de Tennis a financé le film. Pas mal de partenaires ont aussi visiblement demandé à être sur-représentés à l’écran (Aahh… Wilson… Aesics… On ne voit que vous !) Le risque était donc grand de se transformer en une sorte de « Top Gun » du tennis, le talent de Tony Scott en moins…
Mais fort heureusement, Quentin Reynaud a su jouer de ses contraintes pour mieux les poser comme des effets de réalisme.
Sur cet aspect d’ailleurs : chapeau. Les échanges sont assez remarquablement filmés ; questionnant d’ailleurs régulièrement sur les méthodes utilisées…


(Pour le coup, la blessure du match final, j’ai grimacé comme pour un vrai match.)


…et d’ailleurs c’est particulièrement agréable d’avoir l’impression de suivre un match de Roland Garros au cinéma.
…Un plaisir au moins équivalent à celui que j’ai ressenti en voyant un concert de Queen sur grand écran grâce à « Bohemian Rhapsody ».


D’ailleurs, à bien tout prendre en compte, cet effet de réalisme est peut-être ce que le film réussit de mieux. (C’est Roland qui va être content.)
C’est ce qui me fait d’autant plus regretter certains choix.
Alex Lutz pour commencer.
Certes il est excellent mais il est aussi très vieux. Trop vieux pour le rôle.
Ça se voit que le mec a plus de quarante balais et moi c’est le genre de détail qui me perturbe et nuit régulièrement à mon immersion.
Énorme question aussi sur le choix de ce nom de personnage : Thomas Edison.
Juste… Juste non.
Thomas Edison ce n’est pas possible.
Soit ça a un sens et dans ce cas c’est totalement grossier et absurde.
Soit ça n’a pas de sens et dans ce cas c’est totalement con.
Le mec est français et n’est pas du genre à révolutionner quoi que ce soit. Et même si j’ai bien compris que l’américanisme est particulièrement prégnant au sein de cette maison de production hexagonale qui se fait appeler « Apollo » avec une petite fusée en guise de logo, je pense qu’à un moment donné il faut aussi savoir réfléchir aux symboles qu’on emploie pour éviter de rappeler en permanence au spectateur qu’il est en train de regarder une œuvre faite d’artifices.
(Oui je sais : je suis chiant et tatillon, mais je sais que vous aimez mes critiques aussi pour ça, vilaines canailles que vous êtes. Alors bon…)


Ainsi, malgré tout et l’un dans l’autre, « 5ème set » reste pour moi un film à voir. Indéniablement.
Et si on est en droit de blâmer quelques erreurs, qu’on les mette sur le dos de la jeunesse.
Car après tout Quentin Reynaud est loin d’être en fin de match.
Ce set de cinéma, ce n’est que son deuxième.
Il a encore le temps de peaufiner son jeu, maitriser sa technique, et de devenir ce qui nous manque que trop dans le circuit hexagonal : un auteur qui confirme.

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le 23 juin 2021

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