C'est rien de moins que la question que pose Kubrick avec ce film.
Le film s'ouvre en effet de manière majestueuse, grâce à l'introduction musicale du fameux "Ainsi Parlait Zarathoustra", qui instaure un climat de convention et de reconnaissance du spectateur que viendra briser l'univers fantastique ou du moins non conventionnel incarné par le monolithe, associé à la musique de Ligeti.

La connexion entre deux mondes extrêmement différents se fait donc par la musique, qui ouvre au métaphysique. Kubrick s'intéresse en effet généralement assez peu aux humains moyens ; on est toujours avec lui à une échelle supérieure, au risque de se détacher de l'humain.
Cette déshumanisation, on peut la ressentir notamment dans sa mise en scène, froide et géométrique, mais aussi dans le comportement des personnages, devenus des êtres hyper-rationnels et sans affect. Ce n'est ainsi pas un hasard si le personnage central du film est au final un ordinateur, HAL 9000, qui, comme le souligne Joris Guibert, « représente à lui seul les deux formes parfaites du film, le rectangle et le cercle, c'est-à-dire l'organique et l'inorganique, l'artefact construit et l'intelligence biologique. » C'est justement son côté presque « vivant » qui le mènera à sa perte : quand il hésitera un moment après qu'on l'ait interrogé sur ses intentions, il dénotera ainsi que la mécanique mathématique dont il est censé faire preuve a déraillé (puisqu'il est désormais capable de douter), éveillant ainsi la méfiance chez les humains. Les silences ont donc également leur importance dans 2001, et notamment ceux, glaciaux et glaçants, de l'espace (où en plus « personne ne vous entend crier », comme le rappellera la tagline du film "Alien").

2001, c'est l'histoire d'une expérience mystique, touchant au Sublime, à des forces cosmiques infinies, à des entités abstraites contemplées à défaut d'être comprises par l'œil humain. Cela est surtout vrai au sujet du dernier chapitre du film (« Jupiter et au-delà de l'infini »), où on partage avec le personnage de l'astronaute une réelle expérience de sidération, de trip intergalactique collant étrangement bien avec les aspirations alors naissantes de la jeunesse occidentale. Cette partie est inspirée des films expérimentaux de Jordan Belson (notamment Allures, film d'animation de 1961), cinéaste spécialisé dans le cosmique, dans la création de formes visuelles et sonores instables et différentes de celles des schèmes habituels du sensoriel humain.

Le seul moment où le monolithe ne sera pas associé à Ligeti, c'est dans la ''chambre de la quatrième dimension'', espace-temps anormal où les cultures de différentes époques sont mélangées et où le personnage se voit à différents âges de sa vie, avant d'être confronté à sa propre mort après une Cène solitaire. Le monolithe apparaît alors directement associé à « Ainsi Parlait Zarathoustra », libérant d'emblée sa puissance transcendantale et transcendante (visuellement symbolisée par le doigt pointé par le personnage en état de sidération, à la manière du Adam de Michel-Ange).
Sauf qu'ici le passage ne se fait pas d'une condition animale à humaine comme au début du film avec la découverte de l'outil (qui apportera également le premier meurtre, mais qui sera aussi le symbole d'une humanité qui finira esclave de sa technologie, au point où celle-ci effectuera son propre homicide aboutissant à la fin de la collaboration évolutive homme/outil), mais d'un état humain vers quelque chose de plus fort encore : un fœtus, possible « enfant-lumière », sur-homme au regard neuf ayant intégré en lui l'ordre cosmique de l'univers, et désormais prêt à valser dans l'espace avec les autres astres, tournant et retournant en boucle pour l'éternité.

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le 3 févr. 2012

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youli

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