Ce n'est pas une mince affaire de s'attaquer à un "morceau" comme 1941, qui plus est dans la version préférée de son réalisateur canonisé par bon nombre de cinéphiles. Spielberg est pourtant capable du meilleur comme du pire. Avec 1941, il n'est ni bon, ni mauvais et l’œuvre reste surtout dans les annales en étant considérée comme le premier échec financier de son auteur.

Sur une idée originale de John Milius, les deux jeunes scénaristes que sont Robert Zemeckis et Bob Gale rédigent un script qui fait hurler de rire Steven Spielberg. Ayant les coudées franches au sein de l'industrie hollywoodienne suite à ses deux triomphes commerciaux consécutifs que sont Les Dents De La Mer et Rencontres Du Troisième Type, le cinéaste (il le reconnaît lui-même) a légèrement pris la grosse tête et persuade sans peine la Universal et la Columbia de s'associer pour créer une œuvre totalement loufoque et débridée qui rapportera forcément des millions de dollars si elle porte sa signature. Avec seulement 4 petits millions alloués par les studios, Steven sait qu'il peut accomplir des miracles mais se voit très rapidement dépassé par l'ampleur du projet. Au final, ce ne seront pas moins de 32 millions de dollars qui se verront engloutis dans une œuvre démesurée où la surenchère se voit poussée jusqu'à l'absurde.

Six jours après l'attaque surprise des Japonais sur Pearl Harbor, un sous-marin nippon fait surface au plus près des côtes californiennes. Persuadés que l'ennemi va attaquer le territoire américain, les habitants de la côte Ouest s'enferment dans un climat de paranoïa générale...

À l'instar de Kubrick avec Docteur Folamour, Spielberg souhaite démontrer l'absurdité des guerres par le biais de l'humour. Mais si Folamour reste une incontestable réussite grâce à la maîtrise plus que parfaite de son réalisateur, il faut avouer que les débordements concédés par Spielberg peuvent paraître très agaçants pour certains spectateurs. Car ici, tout est véritablement too much, impulsé par un réalisateur qui se pense invincible, drôlissime, voire carrément génial.

Personnellement, en tant que jeune spectatrice, 1941 n'adopte pas vraiment un sens de l'humour qui fonctionne sur moi. Très influencé par les comédies hollywoodiennes des années 40 et 50, Spielberg souhaite ici transcender le genre en créant un OVNI cinématographique aussi déraisonnable que spectaculaire et force ainsi le trait jusqu'à l'excès.

Si l'ouverture du film reste un hilarant hommage à l'intro des Dents De La Mer, la présentation des protagonistes, sous forme de sketches assurément moins drôles, traine paradoxalement la patte de par l'énergie débordante et déjantée voulue par le réalisateur. Avec un danseur relativement falot ou un pilote de chasse psychopathe incarné par un John Belushi qui en fait des tonnes, on se dit que le temps va paraître bien long si Spielberg se voit incapable de maîtriser cet insensé foutoir. Et en matière de maîtrise, si les scènes d'actions sont parfaitement agencées grâce à l'utilisation de la Louma, l'humour potache qui les accompagne se crashe malheureusement dans une outrance rarement amusante. Quelques scènes loufoques sortent néanmoins du lot, lorsque Spielberg s'inspire par exemple des géniaux ressorts comiques de Tex Avery en lieu et place de ceux des vieilles comédies US. Et c'est certainement dans les intermèdes tragi-comiques que l’œuvre trouve enfin son ton le plus juste, comme cette scène où un général, à la maturité enfantine, pleure en visionnant Dumbo au cinéma sans se soucier une seule seconde de la cohue destructrice qui règne dans les rues de la ville. Admirablement incarné par Robert Stack (suite aux refus consécutifs de John Wayne et de Charlton Heston qui ont jugé le projet trop antimilitariste), le personnage du général reste certainement le protagoniste le plus marquant de l’œuvre.

Bref, si le film ne m'a pas vraiment happée, il reste néanmoins un métrage prodigué avec le cœur par un réalisateur passionné par son métier et dont l'échec critique et public va le mener à considérer différemment ses futures méthodes de travail. Il s'éloignera d'ailleurs un temps de la comédie indigeste avant de renouer avec elle pour le 3ème volet des aventures d'Indiana Jones qui souffre également d'humour parfois très embarrassant et, surtout, excessivement régressif quant à la personnalité de son héros. Quant à la caricature du citoyen américain en énergumène psychopathique, paranoïaque et franchement dégénéré que propose 1941, c'est l'Européen Paul Verhoeven qui l'illustrera bien plus pertinemment quelques années plus tard dans le sulfureux Showgirls, film miroir à travers lequel les Américains n'ont jamais voulu se contempler. À l'instar de 1941... en mode director's cut ou pas.

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le 11 juil. 2023

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