Le film est un chef d’œuvre. Je ne sais pas comment le dire autrement, tout dans ce film a su me toucher d’une façon ou d’une autre. Bien sûr, l’aspect plan-séquence m’attirait, mais c’était surtout la patte de Sam Mendes (que j’ai beaucoup) et comment il allait aborder un film sur la Premier Guerre mondiale. Je n’ai pas été déçu un seul instant. Le choix narratif nous prend dès le premières instants du film et nous entraîne dans cette aventure dramatique, nous prend à la gorge par la tension qui règne à chaque instant, sans jamais nous laisser le temps de souffler, ou presque.


L’histoire est on ne peut plus « banale » pour un film de guerre, décidant surtout de se concentrer sur le destin des deux personnages principaux, de la mission qu’on leur assigne et des conséquences tragiques qu’un échec pourrait engendrer. Un film qui va donc mettre en avant l’héroïsme et le courage dans des temps sombres, le sens du devoir quand les convictions sont mises au pilori, l’abnégation quand la mort rôde autour à chaque instant, la fraternité et la compassion quand chaque inconnu peut être aussi un ennemi dangereux ou l’aide salvatrice recherchée avec désespoir. 1917 traite donc de toutes ces thématiques du film du guerre et nous y confronte à travers une intrigue rythmée qui nous met en apnée et pourtant parfaitement millimétrée dans ses moindres secondes.


Le temps devient non seulement un élément narratif majeur, de par son importance pour l’intrigue (il faut prévenir la compagnie à temps), mais aussi par le rythme qu’il nous impose en suivant ainsi les évènements en quasi-temps réels. Mais par-dessus tout, et c’est ce qui rend le tout aussi magnifique, c’est que le temps devient une unité géographique, spatiale, devant un élément des décors qui est utilisés à l’écran pour soutenir l’histoire. Tout est minuté à la perfection pour suivre l’évolution des personnages à travers le théâtre d’opération. De par les contraintes de narrations imposées par la mise en scène, chaque élément devient aussi important que les personnages.


Aucun détail n’est anodin. Que ce soit par les accessoires que les personnages emportent avec eux et s’en dépouille au fur et à mesure, comme une renaissance symbolique dans des temps horrifiques, ou que ce soit les éléments rencontrés par les personnages :


les avions en reconnaissance dans la première partie, les personnages rencontrés au cours de l’intrigue, ou encore quelque chose d’aussi insignifiant que le lait et qui en devient pourtant l’un des meilleur fusil de Tchekhov que j’ai pu voir ces dernières années.


Il y aura bien sûr certains éléments qui sembleront incohérents aux premiers abords


(comme l’arrivée de la caravane de camion, qui semble sortir de nulle part alors que conséquente et qui longe Écoust sans être attaquée alors que la ville est aux mains d’une belle garnison d’Allemands),


mais dans l’ensemble tout s’intégrera à merveille pour une intrigue incroyablement prenante, palpitante.


Le choix narratif du plan-séquence fonctionne à merveille et à un point rarement vu. Jusqu’à présent, les films basés sur ce procédés dont j’ai connaissance étaient essentiellement des huis-clos. Même Birdman restait au final contenu autour du théâtre de l’intrigue, tandis que Victoria ou Utøya: July 22 (véritables films-séquences) étaient restreint à la géographique limitée qu’impose une telle contrainte (je n’ai pas vu le second, mais le premier parvenait à créer l’illusion par sa mise en scène proche de ses personnages). Là, 1917 donne une toute autre dimension au procédé : si le cadre reste focalisé sur ses deux personnages, il se permettra des plans-larges, des mouvements très amples (la fuite d’Écoust et ce putain de traveling à travers les ruines qui nous colle au fauteuil comme une montagne russe), et la caméra restera très libre dans l’ensemble, n’hésitant pas à prendre de la distance avec les personnages et l’action pour capter l’étendue de l’action ou créer une tension certaine.


L’intrigue se comportera donc comme un flot continu qui, une fois lancé, ne s’arrête (presque) pas. Le tout en restant rythmé pour ne créer aucune longueur ou réelle redondance. Tout commence dès les premiers instants du film avec cette longue procession à travers les tranchée, fondamentale car c’est là qu’on embarque avec Blake et Schofield, où on comprend les enjeux, la panique du premier de perdre son frère, la peur du second face aux dangers de la mission. Toutefois, si le procédé permet de nous attraper et nous entraîner dans l’intrigue, ce n’est que lors de la scène du No man’s Land qu’il nous prend à la gorge et qu’on réalise alors son rôle narratif pour l’histoire.


Les scènes se succéderont ainsi, alternant moment de tension asphyxiant


(la scène de la mine, l’arrivée à Écoust, la fuite, la course pour rejoindre le colonel)


et moments plus calmes, parfois presque poétiques


(le champ de cerisiers, la putain de scène de nuit et Écoust en flamme, la rencontre de la compagnie dans la forêt)


ou poignants


(la mort de Blake, l’enlisement du camion où on voit le changement qui s’effectue chez Schofield au milieux de l’activité autour de lui, et puis bien sûr, cette scène avec la jeune Française où le lait m’a fait époustoufler).


Le tout créera un rythme parfaitement dosé, sans longueur ni réel superflu. Chacune devient un élément de l’intrigue menant naturellement au premier, ce qui renforce l’effet ressenti par le film dans sa globalité et donc son efficacité comme vecteur.


Le casting est incroyable dans ce contexte. Clairement, ce ne sont pas des prestations « à récompenses », mais George MacKay et Dean-Charles Chapman portent le film à eux seuls, pratiquement, et ils sont bluffants. Si la narration nous entraîne avec eux, ce sont eux qui nous attachent aux personnages de Blake et Schofield, avec toutes les subtilités de leurs personnalités. Ils sont touchants, troublants même parfois


(encore une fois, la scène de la mort de Blake ou alors avec la Française),


renversant même. Sans forcément avoir le charisme ou le panache de l’archétype du héros dans le film de guerre, ils deviennent des « nobody » desquels on tire une force de courage et d’inspiration incroyable. Ils portent le film et ils le portent à merveille, épaulés par des rôles secondaires tout aussi solides, même si parfois digne du caméo (Collin Firth, Andrew Scott, Mark Strong, Benedict Cumberbatch, Richard Madden).


Comme très souvent avec Sam Mendes, le film est une merveille technique. La musique de Thomas Newman, fidèle au poste, est tout simplement incroyable. Sans aucun doute une de ses meilleures partitions et une de leurs meilleures collaborations. La musique accompagne le film à chaque instant, venant participer à la tension ou bien tentant d’apaiser le rythme et de rejoindre la poésie à l’écran. Quand il ne s’agit de transcender une image déjà fantastique (encore, ENCORE, ces scènes de nuit à Écoust, mais aussi la traversée de la ligne de front ou le No Man’s Land).


Les décors sont fabuleux dans le travail de reconstitution historique mais aussi pour la création de l’atmosphère qui imprègne chaque image de ce film, nous renvoyant dans le passé comme si on y était, comme si on était dans ses tranchées pouilleuses. Tout comme les effets spéciaux, aussi bien mécaniques que numériques, qui rendent encore plus vrai que nature. Le montage rendra difficile de repérer les coupures (en dehors de celle évidente), mais l’utilisation des décors et des effets spéciaux permettra d’en aviser quelques-uns (avant Écoust, je pense en avoir décelés 5-6).


J’ai déjà parlé de la réalisation de Mendes, incroyable de bout en bout dans la façon dont il utilise la caméra et son montage pour créer une illusion qui ne nous quitte pas et renforce la tension de son récit. La liberté des mouvements de la caméra dans les trois dimensions et l’immensité de la géographie spatiale de l’intrigue rend le tour de force encore plus incroyable. Autre point personnel, j’ai beaucoup apprécié la stabilité du cadre (là où dans beaucoup de films du genre, on est avec une caméra à l’épaule pour pouvoir pallier les imprévus d’un film-séquence et rester au plus près des acteurs).


Quant à Roger Deakins ne fait que prouver qu’il est l’un des meilleurs directeurs photos en activité. Le film est juste beau à regarder. En dehors de sa prouesse technique et de son intrigue, chaque scène est un petit bijou. Le jeu sur la lumière, qui devient à son tour un élément narratif puisque reflète les émotions des personnages (très grisâtres quand ils sont terrifiés, sous tensions, ensoleillés quand ils peuvent souffler, et puis bien sûr sombre dans la nuit, parce qu’en terrain ennemi). Au-delà de ça, la composition de l’image même est magnifique : chaque plan est lisible et une merveille dans le ton des couleurs, les contrastes, la saturation même parfois, et donc la lumière (encore, ENCORE, cette scène de nuit à Écoust).


1917 est un chef d’œuvre. Je ne sais pas comment le dire autrement, tout dans ce film a su me toucher d’une façon ou d’une autre. Il n’a pratiquement aucun point faible, pratiquement tout est parfait. Je ne pensais pas être autant bouleverser par ce film, son histoire, ses personnages. Tout simplement le meilleur film de guerre que j’ai pu voir. J’adore les plans-séquence, mais je ne m’attendais pas à être autant scotché à mon siège, autant époustouflé par le tour de force de ce film. Tout simplement le plus beau plan-séquence que j’ai pu voir. Un chef d’œuvre.

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le 1 févr. 2020

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vive_le_ciné

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