"Pour moi y a qu'une chose de sérieux dans la vie, c'est l'heure des repas."

Avec Lino Ventura dans le rôle principal et Michel Audiard aux dialogues, il ne faut pas se poser trop de questions : si on peut facilement dénombrer pas mal de ratages chacun dans leur coin, la combinaison des deux personnalités doit presque nécessairement déboucher sur un noir des années 50 de grande qualité. Sans surprise, 125, rue Montmartre est une plongée délicieuse dans le Paris de l'époque, dans l'univers des vendeurs de journaux à la criée et dans les magouilles de première catégorie.


Je trouve Lino Ventura toujours aussi impressionnant quand les rôles sont taillés sur mesure pour lui, il incarne une solide continuité de ce que Jean Gabin a pu produire dans les décennies qui ont précédé — sans oublier que le même Grangier le mettait dans la peau d'un clochard anar l'année avant, en 1958, dans le tout aussi réjouissant Archimède le clochard. Ventura dispose dans ces conditions d'un capital crédibilité tout aussi imposant (il a même participé au peaufinage du scénario), presque instantanément vraisemblable dans ces rôles de travailleurs des temps anciens, ou encore dans celui d'un taxi dans l'excellent Un témoin dans la ville de Molinaro (1959 également).


Quand bien même on se douterait qu'il y a quelque chose de louche dans cette tentative de suicide inaugurale, provoquant la rencontre d'un certain Didier avec son sauveur, avec tout le grand déballage qui s'ensuit au sujet de manigances familiales, la présence de Lino adoucit tous les angles un peu trop rugueux. Il y a derrière tout cela un soin particulier dans la description des milieux sociaux et dans la constitution des atmosphères que les critiques virulentes de Truffaut de l'époque (la fameuse "qualité française" contre laquelle s'est érigée la Nouvelle Vague) ne saurait amoindrir, avec le recul. Le film n'a aucune vocation documentaire et pourtant, le quotidien des vendeurs de journaux à la sauvette entre le siège et les coins de rues participent à un réalisme génial. La seconde partie de type "Cluedo" dès que le personnage de Jean Desailly apparaît est forcément moins intéressante dans mon référentiel, plus convenue, mais elle permet à Lino Ventura, l'innocent bourru et accusé, de faire un dernier joli tour de piste. On peut très facilement se laisser bercer par des tirades du genre "Pour moi y a qu'une chose de sérieux dans la vie, c'est l'heure des repas et puis de temps en temps la bagatelle, mais à condition de pas se foutre à la flotte pour ça."


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/125-rue-Montmartre-de-Gilles-Grangier-1959

Morrinson
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le 31 janv. 2023

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