Zero
7.8
Zero

Manga de Taiyō Matsumoto (1991)

D’habitude, la poésie tout en fond d'intrigue, j’y suis bien peu réceptif. La faute à une sociopathie mordante qui pousse chez moi la fonctionnalité à prendre trop souvent le dessus. Aussi, les plus beaux vers sont perdus sur moi comme le sucre dans l’acide sulfurique car je ne leur reconnais souvent qu’une portée strictement esthétique, à laquelle je n’accorde par conséquent qu’un caractère franchement spécieux. Cela, pour la bonne et simple raison que, de contenance, ces œuvres dites « éthérées » en sont foncièrement dépourvues.


Peut-être suis-je moins ouvert au lyrisme du fait que ma vue soit plus facilement trompée que par mon esprit, mais cette poésie à laquelle je suis si hermétique, quand elle est joliment emballée or de ses strophes étriquées, a comme un début d’emprise sur moi. Pour autant, ce n’est pas donné au premier venu de susciter chez moi des sentiments autres que le mépris et la colère que je sécrète au naturel depuis une bile intarissable. Je sais en effet distinguer aisément ceux qui cherchent à faire du lyrisme de ceux dont les œuvres sont lyriques de par le fait et non de par l'effet. Taiyô Matsumoto, dans ce registre, s’affiche comme une valeur sûre ; une à laquelle j’ai depuis le temps fini par m’y abandonner sans réserve. Exception faite de certains épisodes qui n’ont cependant rien de honteux.


Zero a ce petit rien de nouveau pour moi qu’il a le mérite d’être le premier manga de Taiyô Matsumoto à avoir à la fois été scénarisé et dessiné par ses soins. Le découpage et le dessin, tout deux atypiques sans forcer, inconventionnels du fait que leur auteur marche loin en dehors des sentiers battus, était déjà très marqué par le style propre à son auteur qui, depuis, aura encore mieux affirmé sa griffe artistique. Zero, pour ce qui est du trait, est sans doute moins élégant que ce qu’on a pu connaître du maître par la suite ; mais l’œuvre ne perd pas une once de charme pour autant.


D’un chapitre seulement, l’atmosphère s’installe, s’insinue, et nous a enveloppé avant que nous ne nous en soyons rendus compte. La scénographie est cuisinée aux petits oignons alors qu’on nous présente Goshima, un champion du monde des poids moyens à l’esprit insaisissable. Quelques pages à peine, quelques pages seulement suffisent à cultiver autour de lui une aura, un mystère qui nous inquiète aussi vite qu’il nous fascine. Et délicatement, tout en douceur, l’intrigue nous le dévoile en revenant sur son parcours en deux tomes de temps.

Pas de longs discours, pas de longs monologues, c’est une poésie concise et subtile qui s’écrit ici. La manière dont sont présentés les adversaires de Goshima s’accomplit avec brio jusqu’à ce que leur carrière s’arrête après avoir eu l’impudence de monter sur le ring face à lui. L’issue du match a beau être monstrueuse, il y a une douceur de dire dans la narration qui amène à cette sanction finale inéluctable et cruelle.


Et le nom de Toravis, durant les premiers chapitres, plane comme un spectre sombre dont la légende précède les hauts-faits. Sans une image de lui, rien que par des on-dit, il est présenté comme le monstre que terrassera peut-être Goshima, celui que l’on nomme Zero pour mieux illustrer le nombre de fois où celui-ci a perdu.


Ces rivalités sportives – mais à une échelle moindre – Matsumoto les aura à nouveau exploitées plus tard avec l’excellente Ping Pong tout en sachant se renouveler. Les deux œuvres ont beau se complaire dans la compétition sportive : elles n’ont aucun rapport. Cette seule mention est un pur mérite quand on sait que le milieu du manga sportif, depuis bien longtemps, n’a jamais été capable de s’extraire de son cadre narratif enclavé et éculé. Il y a des exemples pour en attester. Oui... tant d’exemples. Et il ne se trouve que Taiyô Matsumoto pour s’extraire d’un cercle vicieux où il ne trouverait pas sa place. Un genre formaté, pour lui, est apparemment une prison où il se gardera bien d’y mettre les pieds un jour.


Zero, c’est aussi un manga sur les années qui passent et qui érodent tout. Une terreur lente et silencieuse apparemment moins menaçante que Goshima, mais pourtant si mortelle. « Tu parles trop du passé ces jours-ci » a été une des phrases les plus assassine que j’aie pu lire pour ce qu’elle sous-entendait dans son propos. La fatalité, le temps de deux volumes, se répand sur les pages, nous y englue pour mieux nous entraîner vers un avenir qu’on devine bien peu radieux.

En parallèle, Takada suit son chemin, espérant croiser un jour le parcours de son condisciple auprès duquel il a toujours vécu dans l’ombre. En bon second couteau qui, quand il se crut assez affûté, chercha à occire la légende. Lui comme les autres, malgré leur parcours, malgré leurs ambitions, n’étaient que les marches d’un piédestal visant à mieux consacrer un monstre de la boxe. Un monstre qui se meurt avec le sourire et donc les deux tomes nous paraissent être ses chroniques pré-mortem.


Cet homme-là, cet animal, ce monstre, on ne sait trop par quel bout le prendre, si on doit l’aimer ou le haïr. Peut-être que l’on doit seulement le regarder et attendre ; attendre que le temps lui décroche l’uppercut de trop. Le combat contre Toravis, qui durera la seconde moitié de l’intrigue consacrée à Zero, n’est pas un match où l’on détermine ne vainqueur, mais une confrontation qui vise à faire ressortir autre chose.


Que Goshima ait poussé Toravis jusqu’à se compromettre et n’être lui aussi plus qu’une bête prompte au carnage m’aura rappelé le combat de Ryô contre Touma ; un combat à l’issue duquel le vainqueur n’aura finalement gagné qu’un aller simple vers la perdition.

Peut-être le combat contre Toravis aura duré un peu trop longtemps pour lasser son lecteur. Les coups échangés ne sont pas aussi formidablement pensés que dans un Ashita no Joe mais restent pourtant savoureux à lire. Ce seront surtout ses implications du match qu’on se plaira à retenir. Celles qui tiennent aux fleurs qui fanent et aux graines qu’on récolte pour planter à nouveau.


La conclusion ne m’aura pas franchement convaincu, mais je ne sais pas exactement ce que je pouvais en attendre d’autre. C’était en tout cas une première œuvre marquante pour ouvrir la voie à tout ce que son auteur a eu ensuite de talent à exploiter. Zero, comme œuvre pionnière, est clairement une porte d’entrée toute trouvée à l’art de Taiyô Matsumoto.

Josselin-B
6
Écrit par

Créée

le 1 mars 2024

Critique lue 140 fois

3 j'aime

Josselin Bigaut

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